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contre un ensemble de lois destinées à la police universelle de l’égoïsme, à l’observance détaillée de la loi morale. Tel est, parmi les nations, l’effet d’une idée du droit plus lumineuse, d’une ardeur vitale et animale moins exubérante. Cette race a quelque chose de remarquable en ce sens que, si elle n’obéit pas au droit plus volontiers qu’une autre, elle se laisse plus volontiers imposer cette obéissance. Égoïste dans le présent et dans la pratique, ce qui est l’infirmité incurable de l’homme, elle ne l’est pas en principe, c’est-à-dire à l’encontre des lois qui règlent l’avenir et l’ensemble des choses, qui la toucheront peut-être, mais qui ne la touchent pas encore.

Il vous semble peut-être que cette race est subalterne et disgraciée, que le grand côté de l’être humain est le don de voir et d’agir par lui-même, tandis que tout le reste obéit aux lois de la végétation et de l’instinct, que plus nous conservons dans l’état social notre individu libre et intact, plus nous abondons dans notre nature et dans notre supériorité. À cela je réponds qu’il faut se rendre compte de toute notre nature et démêler au juste le dernier terme de cette supériorité. Tout comme l’être humain se distingue des plantes et des animaux par l’impulsion spontanée dont il porte en lui le principe, de même il se distingue de ses semblables par la qualité de ses impulsions, qui paraît surtout dans la quantité des lois, celles-ci abondantes comme celles-là sont généreuses, car les lois seules, par la force qui est en elles, peuvent mener ou plutôt entraîner à leur fin les meilleures impulsions, qui ne sont après tout, dans une espèce foncièrement égoïste, que simple tendance, simple velléité.

Ce qui masque cette vérité, c’est que les peuples amplement gouvernés n’ont pas constitué d’une manière expresse leur gouvernement dans ces proportions et à ces fins salutaires. Il vous semble peut-être qu’ils subissent cette plénitude de gouvernement, qu’ils ne l’ont pas voulue, et qu’on ne peut leur imputer à mérite une soumission qui n’est pas volontaire. Cela est vrai dans beaucoup de cas : les gouvernemens s’imposent et se développent en vertu de l’égoïsme humain, qui ne leur fait pas défaut ; mais le bien public, dont ils usent comme d’un prétexte, est leur véritable raison d’être et de grandir. Ne croyez pas qu’ils se feraient supporter, s’ils n’étaient bons qu’à eux-mêmes. Un abus aussi ancien que le monde n’est pas purement un abus. Se nourrissant peut-être de pensées égoïstes, les gouvernemens ne vivent que par l’illusion qui les prend pour une magistrature, pour une fonction. D’ailleurs illusion n’est pas le mot ; les pires gouvernemens tiennent la place qu’occuperaient à leur défaut tous les vices et tous les crimes déchaînés, l’anarchie en un mot. César Borgia ne souffrait dans ses états d’autres voleurs et d’autres empoisonneurs que lui-même, d’où il suit qu’un peuple étendant volontiers la sphère du gouvernement croit peut-être