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me trompe, de fortifier encore cet esprit de spécialité qui s’appuie sur les productions locales. Les nations industrielles abandonneront peu à peu les branches de travail qui vivent sur des importations ruineuses pour se consacrer à celles qui sont indiquées par la nature, et où elles ont acquis une supériorité séculaire. L’Angleterre a donc toute sorte de raisons pour exercer avant tout son activité sur ses richesses métallurgiques. Aussi regardez autour de vous : ces trophées, ces temples d’acajou qui se développent dans toute la longueur du transsept, et où Sheffield, Manchester, Birmingham et d’autres villes de la Grande-Bretagne étalent le fer et l’acier sous toutes les formes, ne vous disent-ils point que là est la puissance de l’industrie anglaise, là est sa gloire[1] ?

Une fois entrée dans cette voie, l’Angleterre a trouvé dans les membres de fer du travail, si l’on peut appeler de la sorte les mécaniques, le moyen d’augmenter mille fois par minute la production et de résoudre ainsi, pour les objets de commune nécessité, le problème du bon marché, qui est après tout une des formes pratiques de la démocratie. De là ses étoffes de coton à 8 pence le mètre, ses paires de bas à 2 pence 1/2, ses indiennes et ses mouchoirs aux riches couleurs, qui se vendent en quelque sorte pour rien. Quand il serait vrai que, malgré de grands progrès accomplis depuis 1851, le sentiment du goût manque encore dans une certaine mesure à ses ouvrages de luxe, je m’en consolerais volontiers aussi longtemps que la Grande-Bretagne se préoccupera d’étendre à la classe la plus nombreuse les humbles jouissances de la civilisation. Sa grandeur est dans l’utilité, dans les services qu’elle rend à tous, dans le soulagement des misères sociales et dans l’appropriation des moyens matériels au progrès moral de la multitude. Non contente de faire travailler l’air, la lumière, la vapeur, les métaux pour mettre les conditions du bien-être à la portée des petites bourses, l’industrie anglaise applique les ressources de l’art mécanique aux besoins de la science et du commerce. Parmi les curiosités de l’exposition figure une machine qui écrit en caractères microscopiques, et en vertu de laquelle toute la Bible pourrait être copiée vingt fois sur

  1. Il faut avoir vu l’exposition de 1862, et surtout la partie britannique, pour se faire une idée de tous les usages auxquels se prêtent les métaux. L’acier s’y présente sous mille aspects, depuis les cloches, les monstrueuses scies circulaires à dents de requin, les membres gigantesques des locomotives, jusqu’aux buissons d’aiguilles anglaises, d’une célébrité européenne. Une beauté particulière s’attache à ces ouvrages, dont la surface polie ressemble aux eaux profondes et reposées. Le fer excite également la surprise, soit qu’on l’examine travaillé par la main des ouvriers dans le grand jubé destiné à la cathédrale d’Hereford, ou qu’on l’observe fondu dans toute sorte de moules. Le cuivre, l’airain et d’autres compositions métalliques jouent un rôle tout spécial dans une branche d’ornemens que les Anglais ont empruntée au moyen âge, charnières, serrures, candélabres, et qui conviennent surtout aux châteaux et aux églises.