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main de l’homme. Un des plus grands ouvrages d’orfèvrerie est le vaste plateau supportant un navire, symbole de la ville de Paris. Le principal mérite de cette composition est le mélange harmonieux des tons ; l’œil passe de la couleur de l’or foncé à la blancheur de l’argent par une série de nuances insensibles et habilement ménagées. Les argenteries oxydées, les études d’après l’antique parsemées de scarabées et revêtues d’escarboucles, un ostensoir sans rayons, de M. Caillat, de Lyon, les coffres précieux de M. Rudolphi, les ouvrages d’émail de M. Payen, des broches d’un prix fou, des fils de perles, des diadèmes de diamans et bien d’autres ouvrages éblouissent moins encore par la richesse de la matière que par la pensée de l’artiste et par l’habileté du travail. Je pourrais citer beaucoup d’autres branches de l’industrie française qui se trouvent représentées avec éclat ; mais ce dénombrement ne vous apprendrait rien de nouveau sur les tendances d’une race artiste, qui règne surtout par le charme, la sobriété et le choix des ornemens. Ajoutons seulement que les divisions de l’édifice destinées à représenter nos colonies font une triste figure, comparées à celles de l’Angleterre. On dirait que la France, toute préoccupée de semer les fleurs de la civilisation, laisse à d’autres le soin d’ouvrir la source des richesses positives et croissantes qui font la grandeur du commerce, qui alimentent les fabriques et développent l’activité d’un peuple.

C’est une opinion généralement reçue que la France est une nation démocratique, tandis que l’Angleterre est une nation aristocratique : je veux bien qu’il en soit ainsi ; mais si je regarde à l’industrie des deux peuples, j’y vois exprimé un tout autre ordre de faits. À peine ai-je mis le pied dans cette partie de l’exposition où est représentée la Grande-Bretagne, que mes regards se trouvent aussitôt frappés par ces inventions destinées à alléger et à multiplier le travail, par ces colosses d’acier qui ajoutent aux bras des faibles les forces d’Antée, par ces mille procédés de la science qui se proposent d’introduire des perfectionnemens pratiques dans la nourriture, l’habillement, l’intérieur des habitations, et dont la conséquence inévitable est d’étendre les élémens du bien-être à toutes les classes. Est-ce à dire pour cela que l’Angleterre ne cultive point aussi les industries de luxe ? Non sans doute : quatre ou cinq orfèvres et joailliers de Londres ont envoyé à l’exhibition de 1862 une masse d’or, d’argent et de pierreries dont la valeur matérielle, indépendante du travail, s’élève à plus de 25 millions de francs et dépasse au moins de moitié les richesses du même genre exposées par les joailliers de toutes les autres contrées réunies[1]. Les grandes

  1. Les caisses vitrées où reposent ces trésors sont un grand sujet d’attraction pour la foule. M. Garrard expose le collier, la plaque et l’étoile des différens ordres de la Jarretière, du Bain, du Chardon, de Saint-Patrick, de l’Étoile de l’Inde, une collection de tiares, de colliers, de bracelets et de broches revêtus d’une variété de pierres précieuses. Derrière les gerbes de perles, de diamans, de rubis aux différentes teintes, des améthystes, des émeraudes, rayonne le fameux Koh-i-noor, cette montagne de lumière qui appartient à la reine.