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ne perdit pas à ce jeu tout ce qu’elle risquait, et que tout est bien qui finit bien. Soit. Cependant, si l’on veut mesurer au juste ce que valent ces façons et ces mœurs, il ne faut pas en juger par l’événement tout seul, encore qu’il ait été peu gracieux, mais aussi bien par les éventualités. C’était une sagesse à tout perdre.

Quoi qu’il en soit, telle est la manière britannique, qui se conçoit fort bien, de caste à royauté. Tout autre est le procédé français. En France, avec des vues comme celles de Pitt sur la question d’Irlande, avec une majorité comme celle qui soutenait Pitt, on eût brisé le veto royal, on eût peut-être brisé le roi. Ce sont deux grandes manières. Si l’une a des révolutions, l’autre en a la monnaie sous forme de troubles variés ; d’émeutes soutenues, de conflits venimeux qui n’excluent pas toujours la guerre civile. Il est consolant de penser que dans aucun cas la monarchie ne court de péril. Seulement c’est affaire au monarque de ne pas croiser le courant de l’opinion (caveat rex), d’y céder avec grâce comme le gladiateur antique, de s’arranger enfin pour qu’on ne lui dise pas quelque jour : Il est trop tard ! Après cela reste le principe de l’inviolabilité royale, un principe tout semblable à cet anneau précieux, à cette pierre que portait au doigt le chevalier Luis Perez d’Acaiba, dont telle était la vertu que, quand le chevalier tombait du haut d’un clocher,… la pierre ne se cassait pas.

Légende à part (je ne l’ai pas inventée, hélas ! elle appartient à Henri Heine), la France a un tout autre esprit que la Grande-Bretagne, un esprit qu’on ne mène pas avec des précédens, qu’on ne bride pas avec des textes, fût-ce de vieux parchemins ou quelque constitution récente et solennelle. Par-delà le droit écrit, chaque conscience regarde le droit absolu, dont elle est un exemplaire vivant. C’est pourquoi le jury prétend juger tout, encore que sa mission légale soit uniquement de nier ou d’affirmer un fait : il se considère comme la société elle-même et comme exerçant la souveraineté des jugemens. C’est pourquoi le magistrat préfère volontiers son équité à celle de la loi et des codes, qui sont là néanmoins pour lier ses décisions. Voici enfin le trait suprême de cet esprit, et le plus dispendieux assurément : une constitution, dix constitutions peuvent bien proclamer que le roi est inviolable, que ses ministres seuls doivent être recherchés ; mais le citoyen, sans s’arrêter à cette fiction, frappera autant de coupables qu’il en apparaît, et ne se gênera pas pour en apercevoir jusque sur le trône.

Il ne faut pas s’étonner que ce pays ait des révolutions si contagieuses, ayant des idées si générales. Ce qu’il conçoit, ce qu’il découvre, est chose qui se propage, parce qu’il est sujet à découvrir telle chose que les droits de l’homme. M. de Maistre me semble bien imprudent, quand à ce propos il prodigue la raillerie, traitant