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rencontre le sublime captif dans son voyage aux Hespérides, Il se fait raconter son histoire, et, sans craindre le ressentiment de Jupiter, tue l’aigle qu’on voyait arriver pour consommer son affreux repas, puis il déchaîne le titan. En même temps, et pour que la clause mise autrefois par Mercure à cette délivrance soit aussi exécutée, il se trouve que Chiron, blessé par mégarde dans le combat d’Hercule contre les centaures et souffrant d’insupportables douleurs, est las de son immortalité et consent à descendre au Tartare à la place de Prométhée. Celui-ci rentre donc en possession des honneurs divins, Réconcilié avec Jupiter, il lui conseille de renoncer à l’amour de Thétis, qui devient mère d’Achille en épousant le mortel Pelée, mais qui eût enfanté un fils plus puissant que son père, si Jupiter avait persisté à s’unir à elle. Toutefois, si Prométhée est réintégré dans sa charge de prophète et conseiller des dieux, il portera désormais un anneau de pierre au doigt et une couronne de saule sur la tête en souvenir de son long martyre.

Il est assez difficile d’asseoir un jugement critique sur ces données incomplètes, lesquelles ne diffèrent pas essentiellement des légendes vulgaires dont Prométhée était le sujet. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que la légende et le génie tragique étaient d’accord pour stipuler une rédemption finale du génie persécuté. L’homme se refuse instinctivement à croire à l’éternité des peines. Reste à savoir si le drame de la délivrance pouvait se rattacher à celui du supplice autrement que par le lien extérieur, peu satisfaisant pour l’esprit, du mythe populaire, ou bien si le génie du poète a su corriger les inconséquences de ce mythe tout en respectant la forme consacrée. Cette dernière supposition est peu probable. La situation était insoluble au point de vue païen. Prométhée et Jupiter ne se sont réconciliés qu’à la condition, pour le premier de se démentir, pour le second de s’adoucir ; mais reconnaissons-nous là le Jupiter et le Prométhée des deux premiers drames ? Ne sont-ils pas l’un et l’autre infidèles à leur caractère ?

Quoi qu’il en soit voilà ce qu’est devenue dans l’antiquité grecque l’histoire aryenne de Pramantha. C’est en Grèce que l’idée s’est dégagée du chaos mythologique et que le bâton producteur du feu-est devenu finalement l’incarnation de l’esprit humain en lutte audacieuse et constante avec l’ordre de la nature.


IV

On conçoit aisément qu’un mythe comme celui de Prométhée, surtout sous la forme achevée qu’il a revêtue dans la tragédie d’Eschyle,