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l’élaboration définitive que ces mythes ont subie en passant par le moule de ce grand génie. C’est Eschyle en effet qui a pour jamais, et sous sa forme immortelle, gravé l’histoire de Prométhée dans la conscience du genre humain.

Antérieurement à lui, Hésiode nous offre la première condensation des légendes qui circulaient sur Prométhée. Il en fait un titan, c’est-à-dire l’un de ces rejetons du Ciel et de la Terre, l’un de ces révolutionnaires primitifs dans lesquels l’érudition moderne a reconnu d’anciens dieux locaux de même signification que les dieux classiques, mais généralement moins dégrossis, plus enfoncés dans la nature matérielle, et dont le culte fut ou absorbé ou rejeté dans l’ombre par suite de la suprématie dévolue insensiblement aux beaux dieux olympiens. Leurs noms servirent à représenter plus tard les forces brutales et indisciplinées de la nature. C’est un trait commun des mythologies aryennes que l’idée d’une lutte engagée entre les dieux régulateurs de L’ordre naturel et les élémens perturbateurs qui semblent s’insurger contre leur pouvoir, soit dans l’orage, soit dans les éruptions volcaniques, soit dans les tremblemens de terre. De là une tendance naturelle à ranger parmi les titans les êtres mythiques, égaux en développement spirituel aux dieux classiques, mais censés en rivalité ou en conflit avec eux. Japet, fils du Ciel et de la Terre, Japet, le représentant de la grande famille qui peupla l’Asie-Mineure et la Grèce, a eu de Clymène, fille d’Océan, quatre fils, Atlas, Ménœtius, Prométhée et Epiméthée. Cette lignée est peu amie et peu favorisée de Jupiter. Atlas vaincu doit supporter le monde ; Ménœtius révolté a été précipité au fond du Tartare ; Prométhée, bien que de race divine, n’en fait pas moins partie du genre humain, qui du reste est issu, comme lui, de la Terre. C’est lui qui le premier ose essayer de tromperies dieux et veut rendre leur joug moins lourd aux hommes. Dans la très ancienne ville de Sicyone, il y avait contestation entre les dieux et les hommes au sujet des parties des animaux sacrifiés qu’il fallait offrir aux immortels ou réserver aux mortels. Prométhée, en remettant le différend à l’arbitrage de Jupiter, a l’audace de lui tendre un piège. Il tue un bœuf, enveloppe la chair et presque toute la graisse dans la peau et l’estomac de l’animal, puis à côté entasse les os en les recouvrant d’une mince couche de graisse. Alors il invite le roi des dieux à choisir lui-même. Jupiter s’aperçoit de la ruse, mais il fait semblant de s’y laisser prendre, et saisit cette occasion, qu’il cherchait depuis quelque temps, pour retirer le feu aux hommes. Nous voyons ici se dessiner en traits fort accusés cette tendance irrespectueuse à l’égard des dieux que la légende védique rattachait déjà à l’invention du feu, et que l’esprit grec attribua d’une manière encore plus prononcée à l’homme avisé, fier de son intelligence, et désormais comptant pour