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essieu. Une vieille chronique saxonne du XIIIe siècle raconte, avec une pieuse indignation, qu’en un temps d’épizootie, des paysans s’étaient servis d’un « simulacre de Priape » pour tirer du bois, par le frottement, le feu magique auquel on attribuait la vertu de guérir les bestiaux de la péripneumonie. En 1828, l’auteur d’une mythologie allemande, M. Colshorn, était témoin d’une cérémonie toute semblable dans un village du Hanovre. Bien d’autres faits analogues ont été recueillis par M. Kuhn, et ne laissent aucun doute sur l’usage extrêmement reculé, antérieur à la dispersion des peuples aryens, de cette manière de produire le feu.

Comment tout cela nous rapproche-t-il insensiblement de Prométhée ? On va le comprendre. Cet acte de forer le bois par le bois, provoquant par le frottement l’apparition de la flamme, s’exprime en langage védique par le mot mathnâmi ou manthâmi, qui signifie proprement secouer, ébranler, produire dehors au moyen de la friction. La même racine se retrouve en allemand et en anglais modernes dans les mots mangeln et mingle, désignant l’opération, bien connue des ménagères, qui consiste à calandrer le linge au moyen d’un rouleau, soumis à une forte pression, qui passe en tournant sur une table lisse. Dans certaines parties du nord de l’Allemagne, les paysans disent, quand il tonne, que « le bon Dieu calandre, use herr Gott mongelt, » ce qui est en rapport étroit, comme on va le voir, avec tout cet ordre d’idées. Le bâton générateur du feu s’appelait en sanscrit matha, puis pramantha, l’annexion de pra y ajoutant l’idée d’attirer avec force, d’arracher, de ravir, Pramantha, que rien ne nous empêche d’écrire déjà avec une majuscule, est donc celui qui découvre le feu, le fait sortir de l’endroit où il se tenait caché ; le ravit et le communique aux hommes. Achevons la personnification. Nous aurons alors en sanscrit un être personnel du nom de Pramâthyus, celui qui creuse en frottant et celui qui dérobe le feu. Dès lors il n’est pas besoin d’être versé à fond dans la science délicate à laquelle nous empruntons ces lumières, pour affirmer, sans trop d’audace, que le Pramâthyus sanscrit n’est autre que le Promêtheus, le Prométhée grec.

De même que les Aryas encore plongés dans la première ignorance, avec cette promptitude à définir l’être universel qui a fait d’eux la race spéculative et philosophique par excellence, toujours portés à faire du monde entier l’extension pure et simple du monde qu’ils connaissaient, n’avaient pas hésité à voir dans l’univers un arbre immense, — de même ils poussèrent fort loin les explications des phénomènes de la nature en les assimilant à la production du feu par le pramantha. Ainsi le tonnerre provient du pramantha d’Indra, qui creuse le nuage. L’éclair à son tour est aussi un pramantha céleste. Sans entrer dans des détails que M. Kuhn avait le droit