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nuées sont le branchage, dont les astres sont les fruits. Les phénomènes les plus marquans du monde physique sont ramenés à des analogies tirées de cette grossière intuition. Ainsi l’éclair est un fruit ou l’un des rameaux de cet arbre immense ; en même temps, comme il descend du ciel sur la terre, l’éclair est aussi un oiseau porte-feu quittant son nid céleste et apportant à son bec une branche enflammée. De cette conception primitive découle une multitude de mythes locaux expliquant pourquoi le feu, originaire du ciel, est devenu habitant de la terre. Le mythe de Phoronée[1] dans le Péloponèse, le culte de Soranus, de Picus, de Feronia chez les Latins, beaucoup de croyances indo-européennes relatives à des oiseaux considérés comme porte-feu, tels que le pic-vert, l’épervier, le faucon, le roitelet[2], etc., s’y rattachent comme à leur centre commun, et l’on en peut voir encore une dérivation dans le mythe grec de Vulcain, le feu cosmique tombant du ciel et travaillant désormais dans les entrailles de la terre.

Ce fut vraisemblablement cette idée, que le feu tombé du ciel devait être resté caché quelque part et qu’il serait possible de le tirer de sa cachette, qui, jointe à l’observation de phénomènes conduisant à une conclusion analogue, dut suggérer à l’homme le désir de produire le feu à volonté. Cherchons bien à ressentir l’impression que devait faire sur l’homme primitif la vue d’un objet lumineux qui disparaissait après avoir jeté son éclat. Notre sentiment moderne de la nature, dominé par les notions scientifiques au sein desquelles nous grandissons, et qui ont pris racine dans notre intelligence lorsque l’âge de la réflexion arrive, serait pour cela le plus mauvais des guides. Aux yeux de l’homme primitif, l’éclair disparu, le feu éteint, la chaleur refroidie, devaient être rentrés quelque part. Outre le soleil et la foudre, il avait pu observer les éruptions volcaniques, les laves incandescentes, l’impression de chaleur produite par le frottement rapide de deux corps, l’étincelle jaillissant des pierres fortement lancées les unes contre les autres, pendant l’hiver la température relativement élevée des antres profonds, pendant l’été la fraîcheur également relative des grottes souterraines, comme si la chaleur avait quitté les entrailles du sol pour se répandre à sa surface, sa propre chaleur animale à lui-même, d’autant plus intense à mesure qu’elle pénétrait dans l’intérieur du corps, enfin et surtout les

  1. Phoronée est la transformation grecque du mot conservé dans le sanscrit, bhuranyu, celui qui fond rapidement sur quelque chose ou quelqu’un.
  2. Le roitelet est l’oiseau porte-feu celtique ; des légendes normandes et bretonnes l’attestent encore. Le plus petit des oiseaux, mais hardi comme un lion, seul il eut l’audace d’aller chercher le feu du ciel au risque de s’y brûler toutes les plumes. Encore aujourd’hui le roitelet est respecté comme un oiseau sacré dans les districts reculés du pays de Caux.