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ordre religieux et civil qu’elle n’a point la force de modifier, sur la conquête étrangère, à laquelle, tout en résistant, elle n’oppose que des fureurs passagères ou une soumission passive.

En quittant l’Inde, on entre dans un monde nouveau. On vient de voir l’enfance de la race caucasique, mais c’est en Europe qu’il faut en étudier la maturité.


III.

La Turquie forme naturellement la transition entre l’Asie et l’Europe. Par le goût du luxe, de la pompe, des ornemens personnels, comme aussi, je dois le dire, par l’oubli du bien-être appliqué à la classe la plus nombreuse, elle se rattache évidemment au groupe des civilisations orientales. Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus riche que ses étoffes de soie glacées ou brodées d’or ; toute la voluptueuse splendeur des harems brille à travers ces cases de verre où les tissus de velours rehaussés de pierres précieuses, les molles écharpes et les mille raffinemens de la toilette des femmes ondoient comme la ceinture de Vénus, en promettant d’ajouter des charmes à la beauté. Les habillemens des hommes ne sont pas moins somptueux ; les riches narguilés, les flacons d’eau de rose, les soyeuses ottomanes, les magnifiques tapis annoncent une population sensuelle et assoupie dans les jouissances du matérialisme. D’un autre côté, quelques branches de l’industrie turque semblent indiquer de louables efforts pour se rapprocher des mœurs européennes : on sent que le progrès est devenu pour l’empire ottoman une question de vie ou de mort ; mais une indolence naturelle de caractère, une religion fataliste, le mépris et l’asservissement de la femme, dont on dissimule mal l’esclavage sous les chaînes et les bracelets d’or, semblent frapper d’impuissance des essais d’où dépendent pourtant le sort et l’avenir de la nation ottomane. La Grèce, malgré la différence de religion et un esprit de liberté qui lui présage de meilleures destinées qu’à la Turquie, obéit dans ses goûts et dans la recherche du luxe aux lois du même climat. Elle triomphe dans ses velours, dans ses dentelles d’or et d’argent, dans ses couvertures de table, d’une richesse merveilleuse, mais surtout dans ses marbres, d’une blancheur incomparable, et dans ses statues, qui prouvent que l’amour des arts ne s’est point éteint sur la terre où vécut Phidias. Des traces de renaissance se montrent dans son agriculture, dont elle étale avec orgueil les produits, des grains, du coton, de la cochenille, de la cire et du miel. À la Grèce se lie naturellement le groupe des Iles-Ioniennes, où, malgré le mélange des races et la protection de l’Angleterre, domine le caractère hellénique. Ce cachet se retrouve fortement empreint sur toute leur industrie et sur les