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destinée à devenir l’asile universel et à comprendre le monde, comme le mundus réunissait toutes les immigrations diverses. Dès l’origine de cette histoire, un naïf emblème donnait une forte idée de cette puissance d’assimilation et de cette soif d’unité au service desquelles Rome allait déployer une force si intense. — De quelle manière son action devait-elle se développer ? De la manière la plus libérale, en se faisant toute à tous, c’est-à-dire en distribuant tout d’abord autour d’elle par une répartition inégale, mais constante, les démembremens du précieux droit de cité. L’aristocratie romaine croyait diviser par là. et dominer en divisant ; mais il arriva que les Latins prétendant au droit de cité, les Italiens au droit latin, la guerre sociale abattit toute barrière devant les uns et les autres ; fort contraire à l’esprit exclusif de la cité grecque, qui avait péri pour n’avoir pas voulu s’étendre, le génie héroïque et vraiment libéral de Rome allait se livrer sans réserve, au risque de se disperser dans une diffusion infinie. L’aristocratie s’était vainement opposée à ce mouvement énergique d’assimilation qui, en provoquant une réaction inévitable, avait accéléré à l’intérieur le progrès vers l’égalité. Ce dernier progrès, la démocratie romaine l’avait voulu des les premiers temps avec passion ; elle le réalisa autant que cela était possible dans un état de civilisation qui reposait sur le paganisme et sur l’esclavage, et ce fut son triomphe. Comment la liberté politique s’accommoda de ce triomphe, le passage de la république à l’empire suffit pour le montrer.

C’est un des mérites de M. Amédée Thierry d’avoir compris et montré par ses travaux quelle place importante doit occuper l’étude du droit dans l’interprétation de l’histoire. M. Amédée Thierry n’a eu qu’à se rappeler et à résumer les curieuses études insérées par lui jadis dans nos recueils de législation et de jurisprudence pour nous donner aujourd’hui de la révolution impériale un commentaire qui, reproduisant ces études publiées il y a vingt ans, échappe dans notre temps à des interprétations combattues par sa véritable date. Il y a fort bien montré comment, la cité ayant dû s’ouvrir aux populations diverses de l’Italie et des provinces, ces nouveau-venus, ont accéléré par une pression nouvelle un mouvement déjà très rapide à l’intérieur vers l’égalité. Puis, prenant les textes rédigés plus tard par les grands jurisconsultes romains, textes qui contiennent dans son expression la plus rigoureuse la formule légale de l’empire, il commente cette formule, expression rigoureuse elle-même des faits qui se sont accomplis, et nous fait voir clairement la démocratie enivrée, sacrifiant, pour obtenir l’extrême égalité, tous ses pouvoirs et tous ses droits, les rejetant loin d’elle tous l’un après l’autre et les accumulant sur une seule personne, l’empereur chargé de réaliser et de maintenir une formidable unité. Un jour, pendant un de ses voyages sur mer, Auguste se vit abordé par un navire d’Alexandrie. Équipage et passagers demandèrent à être admis devant lui et s’y présentèrent, comme devant un dieu, vêtus de robes blanches et couronnés de fleurs, au milieu de la fumée de l’encens et des parfums : « O césar ! lui disaient-ils, c’est par toi que nous vivons, par toi que nous naviguons, par toi que nous jouissons de notre liberté et de nos biens ! » Auguste, par une réponse muette dont ils comprirent vivement le sens, leur fit distribuer à tous la toge romaine et fit prendre à son équipage romain le pallium grec ; il voulut aussi que d’un navire à l’autre on échangeât