Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/770

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cipales raisons pratiques de l’inutilité d’une telle résistance, c’est que l’élément conservateur est incontestablement dominant en Italie, et qu’en persévérant dans les voies libérales il n’a nullement à craindre les turbulences d’une petite minorité. D’ailleurs sur quoi résister ? Ce que les exaltés demandent avec une passion tumultueuse, — Rome et Venise, — les hommes de gouvernement, les politiques pratiques, n’ont pas eux-mêmes d’autre pensée que de l’atteindre ; il est évident que sans Rome il leur est impossible d’organiser le nouveau royaume et d’y établir cet ordre auquel tant d’esprits obtus parmi nous consentiraient à sacrifier la liberté. Les conservateurs en Italie n’ont donc à faire par les moyens les plus raisonnables, les mieux concertés, les plus pratiques, que ce que les exaltés veulent faire par bonds et par élan populaire. On ne peut être conservateur en Italie qu’à la façon de M. de Cavour. Les journaux italiens viennent de publier une lettre adressée par la nièce de l’illustre ministre, Mme  la comtesse Alfieri, à M. W. de La Rive, de Genève, qui prépare un récit de la vie de M. de Cavour. Cette lettre touchante raconte les derniers momens du grand homme d’état. Peu d’heures avant sa mort, après avoir reçu la visite du roi, à qui il avait parlé des affaires de Naples, le mourant continua à entretenir avec abondance du même sujet les assistans éplorés. Il prévoyait les difficultés que présenteraient les provinces méridionales ; il disait le bien qu’il y voulait faire, et il s’écriait dans un élan où le scrupule de l’ami de la liberté était relevé encore par l’orgueil de l’homme d’état, par la fierté de l’artiste qui ne veut devoir le succès qu’à son intelligence et à son talent, non à l’oppression de l’esprit et du talent des autres : « Pas d’état de siège, pas de ces moyens de gouvernement absolu ! Tout le monde sait gouverner avec l’état de siège ; moi, je les gouvernerai avec la liberté, et je montrerai ce que peuvent faire de ces belles régions dix ans de liberté… Non, jamais d’état de siège ! je vous le recommande. »

Bien loin de provoquer les Italiens à des luttes intestines et d’exciter les conservateurs contre Garibaldi et le parti de l’action, il faut bien comprendre la position de Garibaldi à côté des hommes de gouvernement qui ont travaillé à l’émancipation de l’Italie et s’efforcer de prévenir en les déplorant les déviations qui pourraient changer une émulation patriotique en une hostilité déclarée. Ici encore nous citerons M. de Cavour. Certes personne n’avait eu plus que lui à souffrir des violences de Garibaldi ; ses amis sont allés jusqu’à attribuer sa mort à l’émotion que lui inspira la scène parlementaire où l’homme qui venait de donner à l’Italie le royaume des Deux-Siciles vint dénoncer « la froide et malfaisante main du ministère. » Eh bien ! le collaborateur le plus intime du ministre, M. Artom, dans l’intéressante notice qu’il a placée en tête de l’Œuvre parlementaire de M. de Cavour, déclare que, même après cette lutte, M. de Cavour ne se repentait pas d’avoir lui-même préparé un si grand rôle au soldat populaire de la cause italienne. Bien plus, à son lit de mort, il disait à la comtesse Alfieri :