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Il y avait une question d’humanité, de droit d’asile, d’inviolabilité du drapeau, et c’eût été réellement une condition trop étrange pour trois puissances telles que la France, l’Angleterre et l’Espagne de se prêter à se faire les exécutrices d’un décret de mise hors la loi.

D’ailleurs était-ce donc là un de ces actes d’intervention dans les affaires intérieures du Mexique qui pouvaient être considérés comme une atteinte au traité du 31 octobre ? Par une circonstance singulière, le général Prim se mettait ici en contradiction avec lui-même, avec son propre gouvernement. Quelque temps auparavant en effet, un autre émigré, un ancien président, le général Miramon, avait voulu débarquer au Mexique ; il était passé à La Havane au moment où les chefs alliés s’y trouvaient eux-mêmes. Le général Serrano avait demandé au général Prim ce qu’il devait faire, s’il devait donner un passeport à Miramon, et le comte de Reus avait répondu : « Laissez-le venir, laissez-les venir tous. » Avant de toucher à la Vera-Gruz, Miramon avait été enlevé par les Anglais, qui ne voyaient en lui que l’auteur du rapt de 600,000 piastres fait à la légation britannique. Or que disait le général Prim ? « J’ai manifesté à sir Charles Wike et au commodore Dunlop, écrivait-il, que notre mission au Mexique n’était pas de prêter appui ou préférence à un parti plutôt qu’à l’autre, et que le fait de refuser à Miramon l’entrée du Mexique nous ferait taxer de partialité. » Le cabinet de Madrid lui-même se plaignait vivement de ce procédé. Ce qui était vrai pour Miramon ne l’était pas moins pour Almonte, et pourquoi les portes du Mexique auraient-elles dû s’ouvrir devant l’un, non devant l’autre ? Le représentant de la France ne pouvait donc souscrire à l’étrange loi qu’on prétendait lui faire, et il louait au contraire hautement l’officier qui avait refusé de livrer le général Almonte aux autorités mexicaines. Seulement, dès que le gouvernement de M. Juarez pouvait voir dans cet acte quelque chose qui ne s’accordait pas avec les préliminaires de la Soledad, l’amiral, mû par un sentiment de délicatesse et de loyauté, signifiait qu’il se remettrait en marche le 1er avril, et irait se replacer derrière le défilé du Chiquihuite pour reprendre sa liberté d’action. C’est là ce que le général Prim regardait comme inadmissible sans manquer au traité du 31 octobre, et c’est sous l’impression de cet incident ou sur ce prétexte qu’il annonçait des le 23 mars le rembarquement prochain de ses troupes. Quelques jours après en effet, le 9 avril, tout était fini ; tout se dénouait à Orizaba dans une conférence où une discussion passionnée ne faisait que mettre en lumière l’impossibilité de s’entendre. Le lendemain, la retraite de l’armée espagnole commençait, et le caractère collectif de l’intervention était effacé.

Or il est impossible ici de ne point remarquer ce qu’il y avait de grave dans cette rupture accomplie spontanément, soudainement,