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Allons au fond des choses : c’était, à vrai dire, un incident à double face. Sans doute la convention de la Soledad était une déviation de la politique générale de l’intervention ; elle donnait au gouvernement de M. Juarez, par une reconnaissance tout au moins indirecte, une force morale que les alliés n’avaient point eu précisément l’intention de lui donner, et c’est ce que le ministre des affaires étrangères de Madrid, M. Calderon Collantes, faisait observer au général Prim dans la dépêche qu’il lui adressait le 22 mars. Elle signalait une halte fâcheuse, une secrète impuissance de l’expédition. M. Juarez gagnait ainsi du temps, et pendant cet armistice il pouvait organiser sa défense, accroître les difficultés de l’entreprise pour l’Europe en s’efforçant d’exciter le sentiment national, tandis que d’un autre côté cette halte de l’intervention était de nature à décourager ceux des Mexicains qui ne demandaient pas mieux que de se ranger sous le drapeau de la médiation européenne ; elle exaltait M. Juarez et son parti en intimidant non-seulement ses adversaires, mais encore la population neutre et modérée. Enfin dans l’intervalle, une complication de plus pouvait surgir. M. Juarez était en négociation avec le ministre des États-Unis, qui offrait en échange de quelques-unes des plus belles provinces mexicaines une somme suffisante pour faire face à la guerre ou pour répondre aux réclamations pécuniaires de l’Europe, et si on laissait s’accomplir cet acte, si ce traité était ratifié à Washington, le nuage pouvait grossir du côté du nord. Je ne parle pas de la saison des contagions, du vomito, qui approchait sur le littoral mexicain. C’était là le désavantage de la convention de la Soledad ; mais d’un autre côté, si le temps, était favorable à M. Juarez, il n’était pas moins nécessaire aux alliés, qui ne pouvaient plus faire un pas sans attendre des instructions nouvelles de l’Europe. En s’avançant dans l’intérieur sans combat et sans obstacle, ceux-ci pouvaient à leur tour parler au pays, populariser l’intervention, gagner les esprits. Une chose est certaine, c’est qu’au point où l’on se trouvait, le chef de l’expédition française ne pouvait que souscrire à cette convention, qu’il considérait comme un armistice. Que pouvait-il faire ? Il n’avait avec lui qu’une force disponible de moins de deux mille hommes, une garde pour le drapeau en pays ennemi. En dehors d’un acquiescement, il n’avait d’autre alternative que de poursuivre isolément une action indépendante, ce qui eût été la plus dangereuse des témérités, ou de se rembarquer, ce qui ne pouvait lui venir à l’esprit. En fait, on pourrait dire qu’il y avait en ce moment trois politiques au Mexique, la politique de l’Europe, de l’Espagne aussi bien que de la France, voyant de loin et ne comprenant rien à ces temporisations, la politique de sir Charles Wike et du général Prim l’appliquant à restreindre le sens de l’intervention pour en venir à un arrangement pacifique avec le