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combat, prendre possession du port. Tout cela s’était fait au nom de l’Espagne seule d’abord ; seul, le drapeau de Castille flottait sur la ville et sur la citadelle. Les chefs des stations navales de la France et de l’Angleterre dans le golfe du Mexique n’avaient pas eu même le temps de recevoir des instructions de leurs gouvernemens, et n’avaient pu se joindre aux Espagnols.

Cette précipitation était une première complication dans l’affaire du Mexique, et elle était une double faute. Elle était peu explicable d’abord dans un moment où l’Espagne négociait les conditions d’une intervention collective avec la France et l’Angleterre. Le cabinet de Madrid avait eu tout le temps de prévenir le capitaine-général de l’île de Cuba, qui n’avait point ignoré les négociations. L’Espagne avait montré une patience peut-être extrême tant qu’elle n’avait pu compter que sur elle-même pour aller au Mexique. Elle avait vu ses conventions violées depuis 1853, ses nationaux massacrés en 1856, son ambassadeur expulsé brutalement en 1860 ; elle avait attendu depuis bien des années, elle aurait pu attendre quelques jours encore. Elle avait cédé visiblement à l’impatience de paraître la première en armes au Mexique, de planter la première son drapeau sur la Vera-Cruz. Elle se donnait le tort de ne paraître si impatiente que le jour où elle se sentait assurée du concours de la France et de l’Angleterre, et de plus ce débarquement prématuré, isolé, avait l’inconvénient de compromettre l’intervention européenne en la montrant tout d’abord sous son aspect le moins populaire au Mexique, en intéressant le sentiment national, car c’est un fait constaté et avoué, si les Français et les Anglais peuvent exciter des colères et des irritations au Mexique, les Espagnols seuls sont encore l’objet d’une haine nationale qui s’alimente aux souvenirs de la guerre de l’indépendance. On pourrait même dire que pour les Mexicains la haine de l’Espagne est la forme la plus réelle du sentiment d’indépendance. En arrivant trop vite et trop tôt pour rester d’ailleurs dans l’immobilité plus d’un mois, les Espagnols laissaient aux autorités mexicaines le temps de faire le vide devant l’expédition, d’organiser une sorte de blocus terrestre autour de la Vera-Cruz, et réduisaient les alliés à tout tirer d’eux-mêmes, à ne plus trouver aucune ressource dans le pays.

C’était une faute à tous les points de vue, et une faute par laquelle l’Espagne se préparait une déception d’amour-propre. C’est ce qui arrivait en effet le jour où la France trouvait dans cette précipitation même un motif d’augmenter son contingent pour faire face aux difficultés qui pouvaient surgir, pour rétablir l’équilibre. « J’ai vu le comte Flahaut, écrivait lord John Russell le 20 janvier 1862 à lord Cowley ; il m’a dit qu’il était chargé de m’exposer que