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la révolution, momentanément vaincue, se réfugie à la Vera-Cruz avec M. Benito Juarez, qui commence à devenir un personnage, et dès lors une lutte acharnée s’engage entre ces deux pouvoirs ennemis. Sont-ils conservateurs ? sont-ils libéraux ? Je ne sais. L’un, il est vrai, représente le clergé, l’armée, les classes supérieures, des intérêts opiniâtres, des traditions surannées ; l’autre, M. Juarez, inscrit sur son drapeau le libéralisme, les réformes ; il groupe autour de lui des intérêts nouveaux par la dépossession du clergé ; il a une armée composée de chefs de partisans, de licenciés transformés en généraux. Au fond, c’est une désorganisation universelle, une lutte où le pays est la première, la grande victime, jusqu’à ce qu’enfin M. Juarez reste maître de la situation et aille à son tour régner à Mexico après avoir régné à la Vera-Cruz. Si on regardait de plus près ces événemens, on y découvrirait peut-être un phénomène bien autrement caractéristique, bien autrement grave que la victoire de certaines idées libérales, quelque rôle que jouent ces idées dans les programmes du parti triomphant ; on y verrait l’avènement au pouvoir de la race indienne dans la personne du nouveau président, Indien lui-même, ayant les passions, la ruse, le fanatisme de l’Indien et l’ambition d’une race qui sent sa force au sein d’une société incohérente où sur sept millions d’hommes il n’y a pas plus d’un million d’Européens. Sans doute dans les guerres civiles mexicaines tous les partis se sont toujours servis de ces malheureux Indiens, en les poussant à des luttes dont ils ne recueillaient aucun bienfait et dont ils ne comprenaient pas même le sens. La victoire de M. Juarez, il y a deux ans, avait une bien autre signification ; elle représentait l’importance nouvelle de l’élément indien dans la politique. Alors, en présence de cet événement, la scène change. C’est le parti de M. Juarez qui devient le gouvernement à peu près reconnu du Mexique, d’insurgé qu’il était la veille ; ce sont les bandes conservatrices qui tiennent la campagne, conduites, non plus par Miramon, qui va rejoindre tous les présidons exilés, mais par des chefs tels que Leonardo. Marquez, Vicario, Cobos, qui étaient la veille des généraux du gouvernement et qui deviennent à leur tour des insurgés, opposant drapeau à drapeau, harcelant le pouvoir de M. Juarez et le menaçant quelquefois jusque dans Mexico. Ce n’est pas un dénoûment, c’est un changement de rôles entre les partis toujours en armes.

Deux faits se sont surtout développés dans cet enchaînement de convulsions qui sont l’essence de la vie mexicaine depuis quelques années. La guerre civile, en se prolongeant, en se compliquant, a pris un caractère d’implacable fureur, de déprédation violente, et cette invasion de l’élément indien que je signalais n’est peut-être