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reconnaissance envers tout promoteur du bien public, surtout cet esprit de solidarité vaillante qui a été de tout temps l’inébranlable garantie de leurs libertés, la cheville ouvrière de leurs incessans progrès. Qu’ils y ajoutent quelques leçons de fermeté dans le malheur, d’énergie en face de longs revers, et bien malavisé qui de nous s’en voudrait plaindre. Quant à ce que nous pouvons leur enseigner, nous leur laisserons le soin de le chercher et de se le dire eux-mêmes. Il ne serait ni de bon goût, ni suffisamment modeste, à notre sens, de prétendre le leur indiquer ici. Notre silence d’ailleurs pourrait bien être une première leçon de savoir-vivre et de prudente réserve.

Nos voisins nous trouveront mieux inspirés sans nul doute, et nous serons beaucoup mieux venus à les prémunir contre les dangers que peut entraîner pour eux l’importation irréfléchie des idées fausses et des travers exotiques. S’il est vrai, comme tout semble l’indiquer, que les fleurs malsaines de notre « demi-monde » aient jeté par-delà le détroit qui nous sépare leurs graines rapidement écloses et d’une fécondité déplorable, nous avons bien le droit de crier : Garde à vous ! Une fois déjà, du temps de Louis XIV et de Charles II, la France a exercé une influence très délétère sur les mœurs britanniques. Il serait honteux pour nous et désastreux pour les Anglais qu’on vît au milieu du XIXe siècle, et justement à deux cents ans de distance, se reproduire les scandales dont Mlle de Kerouailles et le chevalier de Grammont, Saint-Evremond et la duchesse de Mazarin peuvent sembler responsables. Prions donc ces censeurs un peu gourmés auxquels nous cédions tout à l’heure la parole de rétablir, s’il le faut, à certains égards, les prohibitions douanières entre les deux pays, et de rester strictement « protectionistes » en fait de rigorisme moral, de zèle religieux, de probité dans le mariage. Quelques procès récens, celui du jeune Wyndham, celui de lady Gethyn, vingt autres encore que nous pourrions citer, nous donnent à penser que certaines mauvaises branches du free trade fructifient en Angleterre à l’égal des plus utiles. Il ne faudrait pourtant pas étendre si loin les effets du traité de commerce, et si nos voisins d’outre-Manche ont de si excellentes leçons à nous donner, nous avons un intérêt direct et bien évident à ce qu’ils n’abusent pas ainsi de celles qu’on peut prendre au dehors. Qu’arriverait-il, grand Dieu, de ces pédagogues candides et bien intentionnés, si leurs turbulens écoliers venaient, par grand hasard, à les pervertir ?… Supposition moins bizarre, moins gratuite qu’on ne pourrait le penser, à l’appui de laquelle vient la charmante boutade d’un spirituel caricaturiste : Anglais pris par Paris depuis la prise de Paris par les Anglais.