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plus ou moins romanesques, cinq gentilshommes et quatre dames. Ces neuf personnes prient la dame Oisille de leur indiquer un moyen de passer le temps agréablement jusqu’à ce que les communications soient rétablies. « Mes enfans, leur répond la bonne dame, vous me demandez une chose que je trouve fort difficile de vous enseigner, un passe-temps qui vous puisse délivrer de vos ennuis, car, ayant cherché le remède toute ma vie, n’en ai jamais trouvé qu’un, qui est la lecture des Saintes Lettres… et si vous me demandez quelle recette me tient si joyeuse et si saine, c’est que incontinent que je suis levée, je prends la sainte Écriture et la lis. » Ce penchant de la dame Oisille à faire intervenir la Bible a servi quelquefois d’argument à ceux qui prêtent à l’auteur de l’Heptaméron des opinions calvinistes ; mais le goût de la Bible n’était, pas plus alors qu’il ne l’est aujourd’hui, un signe suffisant de calvinisme, et pour montrer que l’induction porte à faux, il suffit d’ajouter que la dame Oisille termine son discours en ces termes : « Il me semble que si tous les matins vous voulez donner une heure à cette lecture (de la Bible) et puis, durant la messe, faire vos dévotes oraisons, vous trouverez en ce désert la beauté qui peut être en toutes les villes, car qui connaît Dieu voit toutes choses balles en lui, et sans lui tout laid. »

Sans exclure ce genre de récréation, les compagnons de la dame Oisille l’ayant jugé trop austère pour suffire seul à l’emploi de leurs journées, une des dames, nommée Parlamente, commence par raconter le projet d’une imitation de Boccace formé par les seigneurs et les dames de la cour de François Ier : elle propose à la société réunie à l’abbaye de Notre-Dame-de-Sarrance de l’exécuter. « S’il vous plaît, dit-elle, que tous les jours, depuis midi jusqu’à quatre heures, nous allions dedans ce beau pré, le long de la rivière du Gave, où les arbres sont si feuilles que le soleil ne saurait percer l’ombre ni échauffer la fraîcheur, là, assis à nos aises, dira chacun quelque histoire qu’il aura vue, ou bien ouï dire à quelque homme digne de foi. Au bout de dix jours, aurons parachevé la centaine, et si Dieu fait que notre labeur soit trouvé digne des yeux des seigneurs et dames ci-dessus nommés (c’est-à-dire de François Ier, du dauphin, de la dauphine, de la reine de Navarre, etc., en un mot des auteurs du projet en question), nous leur en ferons présent au retour de ce voyage, au lieu d’images et de patenostres, étant assurés qu’ils auront ce présent ici pour plus agréable. »

Le projet de Parlamente est agréé, mais à la condition qu’il se combinera avec la proposition plus édifiante de la dame Oisille. Tous les matins, on commence par aller entendre dans la chambre de celle-ci une lecture de la Bible qui dure une bonne heure, on assiste ensuite dévotement à la messe, on dîne à dix heures ; à midi, on se rend au