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pour nous faciliter la comparaison, non-seulement est plus satirique ; puisqu’elle raconte les propos obscènes tenus en chaire par un cordelier, mais nous présente, de la part d’un des interlocuteurs, des réflexions exprimées en un langage si indécent, qu’il est difficile de se figurer une princesse dictant ou écrivant de pareilles choses, même à une époque où le français ressemblait beaucoup au latin et bravait comme lui l’honnêteté. Il est bien vrai que le chevalier Simontault, qui s’émancipe à ce point, est gourmande par celle des interlocutrices, Parlamente, qui, suivant M. de Lincy, représente Marguerite ; mais il ne me paraît pas moins impossible que celle-ci ait rédigé ou dicté les propos prêtés à Simontault dans cette circonstance. Il est donc, je crois, tout naturel, au sujet d’un recueil composé comme celui-ci de morceaux détachés et en l’absence d’un manuscrit vraiment authentique ; c’est-à-dire écrit par l’auteur même ou avec constatation qu’il a été rédigé sous sa dictée, il est tout naturel, chaque fois que la mesure du langage permis au XVIe siècle à une femme honnête semble dépassée, de supposer qu’il y a eu quelques altérations ou quelques interpolations faites dans le texte primitif par les nombreux copistes qui ont tour à tour, écrit l’Heptaméron avant qu’il fût publié.

Est-ce à dire que les contes de la reine de Navarre soient, comme le croient bien des personnes qui ne les ont jamais lus, des récits exclusivement licencieux ? Il n’en est rien, et, quoique M. Génin les embellisse un peu en les qualifiant de contes moraux et même en ajoutant qu’ils s’appelleraient ainsi à bien meilleur titre que ceux de Marmontel, ils sont incontestablement supérieurs, sous le rapport de la moralité, à tous les ouvrages si nombreux du même genre qui ont paru avant eux, et sous le rapport littéraire ils l’emportent également, si l’on en excepte le chef-d’œuvre de Boccace, qui a servi de modèle à tous.

Considéré à ce double point de vue, l’Heptaméron représente au moins pour la France une date dans l’histoire du genre littéraire auquel cet ouvrage appartient. De même que nos grands poèmes chevaleresques du moyen âge, en passant de la poésie à la prose, ont donné naissance au roman moderne, de même la nouvelle, cette forme abrégée et légère de la narration romanesque, dérive des fabliaux, de ces petits poèmes en miniature qui, par leur tournure généralement moqueuse et licencieuse, servaient en quelque sorte de contres-poids a la gravité religieuse, guerrière ou sentimentale de nos antiques et volumineuses épopées.

Boccace, le premier, a tiré de nos fabliaux ce genre de récit en prose, qui n’a point le caractère fantastique et merveilleux du conte proprement dit, dont l’origine est orientale, et qui s’est appelé nouvelle (novella), comme pour indiquer ce qui a été longtemps un de