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de pitié que fait naître l’aspect d’une grande et singulière infortune supportée, combattue avec courage ? » Le goût du singulier n’a-t-il pas égaré ici l’ingénieux éditeur ? Il déclare que sa découverte repose sur un document unique ; mais si ce document unique est interprété à sa manière, que peut-il inspirer pour Marguerite, sinon du mépris, ou tout au plus de la pitié ? Quant à de l’admiration, comment son hypothèse pourrait-elle la légitimer ?

Tout ceci est certainement fort étrange ; mais ce qui ne l’est pas moins, c’est la facilité avec laquelle une pareille hypothèse a été admise avec des modifications par deux de nos principaux historiens. M. Michelet aime, respecte et admire Marguerite d’Angoulême. Je partage tout à fait son sentiment : il la nomme dans son langage pittoresque le pur élixir des Valois. » C’est en effet ce que cette race a produit de plus noble, de plus délicat, de plus distingué sous tous les rapports. Personne n’était plus en état que lui de faire justice de la répugnante supposition adoptée par l’éditeur de la correspondance de la reine de Navarre : cette supposition lui a évidemment déplu, il n’a pas compris qu’on pût tout à la fois respecter, admirer Marguerite et la présenter comme une sœur incestueuse d’intention qui écrit à son frère : « Venez à moi, j’ai besoin de vous voir, quoi qu’il en puisse arriver. Gardez-moi le secret. » Rien ne lui était plus facile que de démontrer la parfaite innocence de la lettre dont il s’agit ; malheureusement l’obscurité de cette lettre l’a attiré par l’espoir d’y découvrir autre chose que M. Génin, mais une chose du même genre, c’est-à-dire quelqu’une de ces monstruosités morales qu’il aime à attribuer aux puissans de la terre. Il a certainement raison quand il affirme que ceux-ci sont plus sujets aux énormités que les simples mortels : Bossuet l’a dit avant lui et très énergiquement ; mais encore faut-il ne pas les charger sans preuves, et encore moins sûr des preuves qui leur sont plutôt favorables que contraires.

M. Michelet a donc imaginé de se servir de la lettre en question pour disculper Marguerite, qu’il aime, et accabler François Ier, qu’il n’aime pas. Sous sa main, cette lettre a changé non pas de sens, mais de direction ; elle est restée criminelle, mais le coupable est devenu François Ier, et de ce document si vague, si obscur, son esprit ardent et inventif a tiré tout un petit drame très accentué, qu’il est assez difficile d’exposer en détail, et qui n’a qu’un léger défaut : celui d’être en contradiction flagrante avec le texte même d’où il est tiré. Suivant M. Michelet, cette lettre, qui, nous l’avons vu, peut subir tant d’interprétations différentes, prouve le plus clairement du monde qu’un beau matin François Ier osa dire à sa sœur qu’il ne croirait pas à sa tendresse à moins d’en avoir la preuve et la définitive expérience. C’est ainsi que M. Michelet traduit la phrase