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mes paroles, » elle déclare que, si sa vie n’est employée au service du roi, elle l’estimera pire que dix mille morts. Dans la trente-septième lettre du même recueil, elle répète à son frère « qu’elle estime sa vie pire que mort, si elle n’est mise pour son service. » On a vu par une autre lettre, que nous avons citée plus haut au sujet d’un malentendu sur un mot qui aurait déplu au roi, avec quelle abondance de termes hyperboliques et désespérés elle exprime son chagrin à l’occasion du moindre nuage qui s’élève entre son frère et elle. Il serait donc tout à fait absurde de proportionner rigoureusement l’appréciation ou plutôt la recherche du motif inconnu, quel qu’il soit, qui a dicté la lettre dont il s’agit, à la nature des expressions excessives contenues dans cette même lettre. Il est plus probable qu’invraisemblable que la grande douleur exprimée ici par Marguerite (si la lettre est d’elle) n’a pas de cause plus importante que celle qui lui a dicté la lettre presque aussi désolée dont j’ai cité plus haut un fragment.

Reste comme motif de suspicion plus ou moins grave la recommandation très vive de brûler la lettre ou plutôt les lettres (l’affaire inconnue dont il est question ici ayant sans doute occasionné l’envoi de plusieurs lettres dont il n’a été conservé qu’une seule), et enfin la recommandation non moins vive de taire les paroles que Marguerite a pu prononcer dans cette affaire, qui nous est inconnue. Un instant de réflexion suffit pour faire comprendre que ce désir ardent et inquiet du secret peut se concilier avec la plus parfaite innocence de la personne qui le demande. Que faut-il en effet pour légitimer innocemment la vivacité de son désir ? Il suffit qu’un tiers intéressant très vivement Marguerite puisse se trouver très blessé ou très mécontent de son intervention en paroles ou par écrit auprès de François Ier au sujet d’une affaire sur laquelle, de leur côté, le frère et la sœur ne sont pas d’accord, et cette dernière circonstance explique également l’insistance de Marguerite auprès de son frère, soit pour se plaindre que son intention soit perscripte de mal en pis, c’est-à-dire apparemment méconnue de plus en plus, soit pour demander à le voir et exprimer l’impossibilité de se passer de son aide.

Dès qu’on adopte cette interprétation, incontestablement la plus naturelle, on n’a plus qu’à choisir entre une foule d’hypothèses également innocentes. C’est ainsi que le consciencieux éditeur de l’Heptaméron, M. Leroux de Lincy, repoussant, comme moi, l’interprétation aussi invraisemblable qu’odieuse donnée par M. Génin, pense que cette lettre a tout simplement trait à quelque querelle de ménage très vive entre Marguerite et le plus léger et en même temps le plus violent de ses deux maris, si l’on en croit Brantôme, c’est-à-dire Henri d’Albret ; mais, si l’on adopte Henri d’Albret, il est peut-être un peu plus difficile de s’expliquer que François Ier semble