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et enfin, dans toutes les autres lettres sans exception, Marguerite écrit constamment, en parlant à son frère, monseigneur, et jamais sire, tandis que, dans la seule qui ne porte point sa signature, le roi est constamment qualifié sire, et jamais monseigneur. Ces circonstances auraient pu, ce me semble, faire naître dans l’esprit de M. Génin une première question, celle de savoir si la lettre dont il s’agit est bien de Marguerite d’Angoulême ; ce ne serait pas la première fois qu’un collectionneur, surtout quand il s’agit de lettres du XVIe siècle, aurait inséré par erreur dans un recueil spécial une lettre sans signature qui ne lui appartiendrait pas. L’éditeur ne paraît pas avoir éprouvé le moindre doute à ce sujet. L’absence de signature provient, suivant lui, uniquement de ce que celle-ci a été coupée par mégarde par le couteau du relieur. La différence d’orthographe, de rédaction et d’écriture indique seulement que cette lettre a été écrite à une époque où Marguerite, jeune encore, rédigeait avec beaucoup moins de facilité et d’élégance que plus tard. Et cependant, quand il s’agit de fixer la date de cette lettre, qui n’est pas plus datée que toutes les autres, l’éditeur la fixe très arbitrairement, comme nous le verrons tout à l’heure, à l’année 1521 ; cette date ne la sépare des premières qui la suivent que de quatre ans, et si Marguerite en est l’auteur, elle l’aurait écrite à l’âge de vingt-neuf ans, âge où son instruction grammaticale et même littéraire a dû être, selon toute apparence, terminée. Quant à la dernière circonstance relative à la qualification insolite donnée au roi par sa sœur, et qui contribue aussi à inspirer du doute, M. Génin ne semble pas l’avoir remarquée, car il n’en dit mot, et il tranche la question en affirmant que le doute n’est pas possible une minute. N’ayant pas la même conviction, j’ai appelé sur cette lettre l’attention d’un paléographe plus habile et plus compétent que moi, et que je ne nomme pas, parce qu’il a désiré ne pas être nommé, son opinion restant incertaine. Il pense que sur cette question d’authenticité il y a du pour et du contre. La lettre en effet, à côté de mots écrits autrement qu’ils le sont dans les autres lettres, en offre plusieurs dont les caractères se retrouvent les mêmes, et quoique toutes les autres circonstances déjà signalées militent contre l’authenticité, il y a aussi dans cette lettre douteuse un certain nombre d’expressions et de tours hyperboliques qui rappellent le vocabulaire habituel de la reine de Navarre, et se retrouvent plus ou moins identiques dans les autres lettres. Je n’irai donc pas jusqu’à contester tout à fait l’authenticité de cette missive si étrangement interprétée. Toutefois, si par hasard il y avait erreur sur ce point, il serait assez tristement plaisant que la réputation de cette pauvre femme, si aimable et si bonne, après avoir été respectée par tous les historiens durant trois siècles, fût tout à coup défigurée par eux le plus cruellement du monde à l’occasion