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Ce qui est certain, c’est qu’en mettant à part les deux seules lettres qui indiquent entre le frère et la sœur un moment de mésintelligence, toute cette correspondance respire une ingénuité franche, honnête, souvent joyeuse et radicalement incompatible avec l’hypothèse d’une passion coupable[1]. L’éditeur reconnaît du reste que sur les cent trente-huit lettres publiées par lui, il y en a cent trente-sept qui n’offrent aucune prise à son hypothèse ; mais il à suffi qu’il en ait trouvé une une seule, dont la signification est obscure et même incompréhensible, pour se sentir tout à coup éclairé par elle d’une lumière si vive qu’il ne tient plus compte de la lucidité de toutes les autres, et qu’il oublie même les affirmations si péremptoires qu’il avait émises dans son premier recueil. Ainsi le même écrivain qui, avant de connaître cette lettre obscure, nous disait, dans la notice du premier recueil, que « pendant la vie de Marguerite il ne s’éleva pas l’ombre d’un soupçon sur la pureté de ses mœurs, » nous déclare dans le second recueil, et sous la seule influence de cette lettre obscure, qu’il « savait qu’une rumeur vague, sortie probablement des profondeurs les plus ignorées du XVIe siècle, avait flétri d’une imputation terrible la mémoire de cette femme illustre et généreuse. » Il ajoute que, s’il n’avait fait aucune mention de cette rumeur dans son premier recueil, c’est qu’il n’avait pu remonter à sa source et la rencontrer formulée dans un ouvrage quelconque ; mais il oublie qu’il avait au contraire repoussé cette rumeur en la présentant comme l’invention odieuse et ridicule d’un romancier du XIXe siècle.

Quand on prend la peine d’aller examiner à la Bibliothèque impériale la lettre en question dans le recueil manuscrit qui a servi à l’éditeur, on s’explique aisément que cette lettre ait tout d’abord attiré particulièrement son attention : non-seulement c’est la seule des cent trente-huit lettres qui ne porte pas de signature, non-seulement elle diffère de toutes les autres par le caractère embrouillé de la rédaction et par une orthographe plus irrégulière encore que ne l’est habituellement celle de Marguerite ; mais, quoique l’écriture de cette princesse soit un peu variable d’une lettre à l’autre, l’écriture de celle-ci, qui est inscrite sous le numéro d’ordre trente-sept, est notablement différente de son écriture ordinaire, non pas qu’elle soit plus agitée : au contraire, elle semble à la fois plus posée, plus calme et moins expérimentée ; il y a beaucoup moins de jambages,

  1. Citons seulement en passant, et entre mille autres traits de même nature, une phrase de Marguerite à son frère, qui jure singulièrement avec l’idée de ceux qui la représentent comme dévorée par cette tendresse fatale, qui consuma la sœur de René. À propos du second mariage de François Ier, elle lui écrit, avec cette même gaillardise ingénue qui est dans son caractère, qu’elle « va prier Dieu de donner au roi bonne et heureuse vie et faire un enfant à la reine qui sente l’air d’Angoumois. »