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Marguerite associe continuellement à son affection pour son frère ne sont pas les seuls qui protestent contre l’hypothèse en question. Le langage qu’elle tient à François Ier, soit comme épouse, soit comme mère, soit comme tante (lorsqu’il s’agit des enfans du roi), ou comme belle-sœur, lorsqu’il s’agit de l’une ou l’autre de ses deux femmes, ce langage n’est pas moins incompatible avec cette donnée aussi désagréable que chimérique.

Quoique M. Génin n’ait incriminé qu’une seule des cent trente-huit lettres qui composent le recueil publié par lui, du moment où il suspectait la tendresse de Marguerite pour son frère, d’autres écrivains n’ont pas manqué d’épiloguer sur l’ensemble de cette correspondance ; ils ont signalé comme un indice grave quelques formules superlatives qui étaient au XVIe siècle d’un usage commun. C’est ainsi que la reine de Navarre signe parfois votre plus que sujette ou votre plus que sœur. L’éditeur lui-même, sans y attacher autant d’importance que d’autres, croit devoir néanmoins noter aussi et souligner cette dernière formule ; or il suffit de lire quelques lettres du XVIe siècle pour la retrouver dans les circonstances les plus insignifiantes. Si l’on ouvre par exemple le recueil publié par M. A. Champollion-Figeac, on voit l’archiduchesse Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, tante de Charles-Quint, écrire à la mère de François Ier et signer la plus que toute votre bonne sœur.

Il est aussi une autre formule qui se rencontre assez souvent dans les lettres de Marguerite, et dont on a cherché à abuser contre elle. Après la mort de son premier mari, le duc d’Alençon, on la voit écrire à son frère : « Je ne pense que en vous comme celui seul que Dieu m’a laissé en ce monde, père frère et mari. » Les esprits assez bizarres pour attacher à ces mots quelque importance devraient au moins remarquer que la lettre qui les contient suit précisément une lettre dans laquelle la princesse exprime avec une grande vivacité la douleur amère que lui cause la perte du duc d’Alençon, son premier mari. On a dit, il est vrai (et cette assertion, qui n’est pas plus démontrée que beaucoup d’autres assertions historiques, a servi à corroborer la thèse que nous combattons), on a dit que Marguerite avait été une épouse très indifférente pour ses deux maris ; on l’a dit surtout à l’occasion du duc d’Alençon, à qui il a suffi d’avoir encouru une mauvaise note à Pavie pour devenir l’objet de toutes les rigueurs de l’histoire. On a refusé tout mérite à ce prince, qui dans plusieurs circonstances, notamment à la bataille de Marignan, avait montré autant de valeur que d’habileté ; on a dit que, revenu en France après la défaite de Pavie, il s’était vu reprocher sa lâcheté par sa femme et sa belle-mère en termes si durs et avec accompagnement d’outrages si sanglans qu’il en serait mort de honte et de désespoir. Les lettres éditées par M. Génin et un document intéressant publié