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c’est la piété : une préoccupation vive des vues de Dieu sur les princes, des épreuves et des devoirs qu’il leur impose, se mêle souvent aux effusions de sa tendresse fraternelle. Le goût des sermons, qui est une des nuances curieuses de cet aimable caractère, se retrouve aussi bien dans les lettres à François Ier que dans les contes de l’Heptaméron. Marguerite s’excuse quelquefois de la liberté qu’elle prend de sermonner son roi, mais elle ne l’en sermonne pas moins. Ce sentiment de ferveur religieuse que Marguerite associe à sa tendresse pour son frère, ne se remarque pas seulement dans ses lettres ; il brille d’un éclat aussi pur que touchant dans le récit qu’un témoin oculaire, le président du parlement de Paris, Jean de Selves, qui avait accompagné cette princesse à Madrid, nous a laissé de ses premières entrevues avec le captif. Marguerite, après un long et pénible voyage, avait trouvé son frère mourant. Placé entre les exigences d’un vainqueur avide et obstiné, qui mettait à sa délivrance des conditions inacceptables, et la perspective d’une captivité éternelle qu’on lui rendait aussi dure que possible, François Ier, dont l’âme était plus intrépide devant le péril que devant le malheur, s’était abandonné au désespoir. Vingt-trois jours d’une fièvre continue avaient miné sa robuste constitution, et les médecins le considéraient comme perdu. Tous les signes de la mort y étaient, nous dit Jean de Selves, « car il demeura aucun temps sans parler, voir ne ouïr ne connaître personne. C’est alors que dans sa douleur Marguerite eut l’idée d’une invocation solennelle et suprême, à celui qui tient dans ses mains la vie des rois. »


« Mme la duchesse[1], dit Jean de Selves, fit mettre en état tous les gentilshommes de la maison du roi et les siens, ensemble ses dames, pour prier Dieu, et tous reçurent notre créateur, et après fut dite la messe en la chambre du roi. Et à l’heure de l’élévation du saint sacrement monseigneur l’archevêque d’Embrun exhorta le roi à regarder le saint sacrement, et lors ledit seigneur, qui avait été sans voir et sans ouïr, regarda le saint sacrement, éleva ses mains, et après la messe Mme la duchesse lui fit présenter ledit saint sacrement pour l’adorer. Et incontinent le roi dit : « C’est mon Dieu qui me guérira l’âme et le corps, je vous prie que je le reçoive. » Et à ce qu’on lui dit qu’il ne le pourrait avaler, il répondit : « Que si ferait. » Et lors Mme la duchesse fit départir une partie de la sainte hostie, laquelle il reçut avec la plus grande componction et dévotion, qu’il n’y avait cœur qu’il ne fondît en larmes. Madite dame la duchesse reçut le surplus dudit saint sacrement. » Et de cette heure-là Il est toujours allé en amendant, et la fièvre, qui lui avait duré vingt-trois jours sans relâcher, le laissa, et en est de tout net, grâce à Dieu. »


Les sentimens très vifs d’amour filial et de ferveur religieuse que

  1. Marguerite portait alors le titre de duchesse d’Alençon. Nous empruntons ce récit à la publication de M. Aimé Champollion-Figeac.