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avaient très légèrement accueillies au sujet des mœurs de Marguerite d’Angoulême. M. Génin exagérait beaucoup la gravité de ces médisances. Il est certain que la sœur de François Ier n’avait pas autant besoin d’être réhabilitée qu’il le supposait. Elle, n’avait besoin d’une réhabilitation qu’auprès des ignorans qui ne savaient rien d’elle, sinon qu’elle avait vécu pendant sa jeunesse dans une cour assez corrompue, et qu’elle avait composé un recueil de contes plus ou moins légers. Ceux qui s’en tenaient là en fait d’informations, et qui n’avaient même pas lu les récits à la fois scabreux et édifians de la reine de Navarre, étaient naturellement disposés à accueillir tous les contes qu’on a faits sur elle depuis le roman publié en 1696 par Mlle de La Force, depuis les inventions discréditées des auteurs anonymes des Galanteries de la Cour de France, jusqu’aux fantaisies de certains éditeurs enthousiastes de Marot, qui n’admettent pas qu’un poète du XVIe siècle ait pu adresser des vers galans à une princesse sans être son amant, et qui, pour rendre la chose plus sûre, prennent le parti de faire honneur à la princesse de tout ce que Marot écrit pour la première venue, et enfin jusqu’aux bévues de certains romanciers contemporains, qui ne prennent pas la peine de distinguer entre la grand’mère de Henri IV et sa première femme[1].

Tous ceux au contraire qui avaient étudié un peu sérieusement la figure de Marguerite d’Angoulême savaient que la sœur de François Ier avait conquis et mérité de son vivant la réputation d’une personne aussi respectable par ses vertus que distinguée par les agrémens et la solidité de son esprit. L’éditeur de ses lettres nous fait remarquer lui-même que, pendant la vie de Marguerite, « il ne s’éleva pas l’ombre d’un soupçon sur la pureté de ses mœurs[2]. » On peut ajouter qu’après sa mort on ne citerait pas un seul écrivain du XVIe siècle qui ait positivement attaqué sa réputation sur ce point. Brantôme lui-même, qui ne respecte rien, n’a pas mérité le reproche que lui fait M. Génin « d’avoir osé ternir la réputation de Marguerite d’Angoulême. » Il a inséré au contraire dans ses Dames illustres un éloge très accentué de sa vertu, et si dans une autre partie de ses ouvrages il a écrit sûr elle une phrase incidente qui n’est pas tout à fait dans le même ton de respect, il à fallu que M. Génin tronquât cette phrase pour légitimer son accusation contre Brantôme[3]. Le

  1. Toutes deux portaient le même nom de Marguerite et le même titre de reine de Navarre, mais elles ont inspiré à leurs contemporains des sentimens très différens.
  2. Notice du premier recueil de lettres, p. 43.
  3. Il fait dire à celui-ci « qu’en fait de galanteries la reine de Navarre en savait plus que son pain quotidien. » Voici la phrase de Brantôme (il s’agit de l’aptitude de Marguerite à parler plusieurs langues) : « Bien qu’elle sût, dit-il, parler bon espagnol et bon italien, elle s’accommodait toujours de son parler paternel pour choses de conséquence ; mais quand il fallait en jeter quelques mots à la traverse de joyeusetés et de galanteries, elle montrait qu’elle en savait plus que son pain quotidien. » Ce dernier membre de phrase s’applique, ce me semble, au langage espagnol et italien, et non point aux mots joyeusetés et galanterie ?