Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/654

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orientale, et, par elle, de la chrétienté tout entière. « Il y avait aussi un prétendant, qui n’avait pas à révéler ses titres ; les échos répétaient son nom d’un bout de la Bohême à l’autre. Est-il besoin de faire apparaître au milieu du tumulte sa calme et grande figure ? Elle domine déjà tout ce tableau… C’était l’homme à qui Ladislas mourant avait dit : « Mon cher George, ce royaume est dans tes mains. » George de Podiebrad continuait de gouverner l’état avec la douceur, et l’impartialité qui conviennent à la force. Il laissait toutes les compétitions se produire. Le choix des états devant donner un roi à la Bohême, il avait confiance dans les représentans de la nation, et tenait plus, que personne à la liberté du vote. Il ne fallait pas que cette consécration, son meilleur titre, pût lui être contestée dans l’avenir. L’assemblée des états ouvrit ses séances dans l’hôtel de ville de Prague le 27 février 1458. Trois jours furent employés à écouter les orateurs des princes qui aspiraient, au trône des Ottocar. On remarqua surtout le discours de l’ambassadeur de Charles VII. Le roi de France demandait la couronne de Bohême pour son second fils et s’engageait à payer toutes les dettes contractées par l’état sous le coup de la guerre civile ; le jeune prince n’ayant encore que douze ans, la lieutenance du royaume continuerait d’appartenir pendant quatre années à George de Podiebrad, après quoi, le fils de Charles VII partirait pour la Bohême avec un trésor digne d’un roi. Ces offres d’argent, faites à un peuple épuisé, le prestige toujours si grand du nom de la France, émurent beaucoup d’esprits dans le parlement ; mais le lendemain, quand on sut la nouvelle, l’agitation fut si vive qu’on craignit une émeute. La patrie, elle aussi, ne devait-elle pas avoir ses orateurs ? Le cri du peuple fut entendu. Le 2 mars, tous les envoyés des princes ayant terminé leur mission, l’assemblée dut accomplir la sienne. Une foule immense, pressée devant l’Hôtel de Ville et dans les rues environnantes attendait impatiemment le résultat du vote. La séance ouverte, on fit d’abord la prière, selon l’usage national, pour invoquer l’assistance du saint des saints. Le plus haut personnage du parlement, le burgrave de Prague, Zdènek de Sternberg, avait à opiner le premier. Au lieu de prononcer simplement un nom, il s’approcha du lieutenant du royaume, mit un genou en terre, et dit d’une voix émue : « Vive George, notre gracieux roi et seigneur ! » On eût dit alors que l’assemblée n’avait qu’une seule âme ; tous plièrent le genou et ce même cri, répété aussitôt dans les escaliers, dans les cours, sur la place, de rue en rue, éclata, comme la voix de la patrie, par toute la ville de Prague : « Vive George de Podiebrad, roi de Bohême ! »


SAINT-RENE TAILLANDIER.