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davre, dit l’Evangile, là se rassemblent les aigles ; » où brille une grande accumulation de richesses, là aussi accourent les voleurs. L’administration métropolitaine fut obligée d’ajouter toute une nouvelle division de police aux dix-huit qui existaient déjà. En même temps se fondaient par la main des particuliers quelques autres institutions d’un caractère plus rassurant et plus honorable pour l’humanité. M. Blanchard Jerrold, fils du spirituel écrivain Douglas Jerrold, fit un appel généreux à ses concitoyens, et se mit bravement à la tête d’une société de protection pour les étrangers. Le bruit ayant été répandu par les journaux que des excursions d’ouvriers français, allemands et italiens devaient avoir lieu à Londres sur une grande échelle, cette société se proposa de leur être utile en les mettant à l’abri de l’exploitation qui s’exerce partout sur les étrangers, de leur procurer des logemens, des guides et des interprètes. Malgré cette noble pensée et l’œuvre à laquelle elle a donné naissance, je ne voudrais pas répondre qu’au milieu de la confusion inévitable produite par une telle affluence d’étrangers, les ouvriers du continent n’auront point à se plaindre çà et là de l’hospitalité anglaise. Je crois pouvoir affirmer que nos voisins ont la ferme intention de leur souhaiter, comme ils disent, la bienvenue par tous les moyens raisonnables ; mais ils ne faut pas que les étrangers confondent l’hôtel avec le home. Le home (l’intérieur anglais) est hospitalier et charitable — pour les amis ; — l’hôtel est à Londres ce qu’il est partout, un terrain de spéculation où l’on est plus ou moins bien reçu selon son argent.

À mesure qu’approchait le moment de l’ouverture de l’exposition, la ville de Londres prenait une physionomie plus singulière et plus affairée. Les maisons du West-End se repeignaient à neuf, les boutiques faisaient leur toilette, les théâtres grattaient leurs fresques ou les chargeaient de couleurs à l’huile. « Ne sentez-vous pas dans l’air quelque chose d’inusité ? me disait un Anglais à la veille du grand jour ; voyez, les cochers semblent avoir perdu la tête, les chevaux eux-mêmes ont dans l’œil et dans le mouvement de la queue une inquiétude qui me rappelle la fièvre du Derby. » Ce grand jour était le 1er  mai ; le comité avait décidé que ceux-là seuls seraient admis à l’ouverture de l’exhibition qui auraient acheté des billets pour toute la saison (season tickets). Ces billets, y compris le droit d’entrée dans les jardins de la Société horticulturale, coûtaient 5 guinées. Il s’en vendit dans tout Londres un nombre prodigieux. Cependant le comité n’avait réussi qu’à mécontenter presque tout le monde. Les plus aigris dans ce concert de plaintes étaient les exposans qui revendiquaient à grands cris le droit d’entrer dans le palais de l’exposition le jour de l’ouverture. En principe, leurs réclamations étaient justes ; mais il faut savoir que le nombre des