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Bien que ces scènes horribles ne fussent pas rares dans la tragique mêlée du moyen âge, bien que le théâtre de la politique y ait été trop souvent ensanglanté par le meurtre et déshonoré par la ruse, l’exécution du fils aîné de Jean Hunyade produisit la plus sinistre impression dans tous les états de Ladislas. On oublia le guet-apens tendu au comte de Cilly, et l’on ne vit plus que le coupable devenu victime à son tour. George de Podiebrad, séparé de Hunyade par tant de haines de face et d’intérêts contraires, n’en ressentit pas moins vivement la douleur publique en pensant à son maître. Quoi ! une dissimulation si profonde chez un prince à peine sorti de l’enfance ! Podiebrad était trop franc pour cacher ce qu’il pensait, et comme il en résulta une froideur marquée entre le roi et le lieutenant du royaume, les ennemis du chef des hussites voulurent profiter de l’occasion pour le perdre. Le bruit se répandit qu’une correspondance de Podiebrad trouvée parmi les papiers des Hunyade révélait chez lui des projets de rébellion contre le roi. Podiebrad évoqua lui-même l’affaire, non-seulement devant les états réunis à Prague au mois de juin 1455 ; mais dans le conseil de Ladislas. Les états répondirent en promettant de châtier les calomniateurs, et Ladislas, qui se trouvait alors à Vienne, où il avait emmené captif le plus jeune fils du héros de Belgrade, Mathias Corvin, écrivit au lieutenant du royaume de Bohême pour lui dire qu’il avait toute confiance dans la loyauté de ses services. Attribuer la même politique à George de Podiebrad et aux Hunyade, c’était méconnaître en effet et le caractère particulier du chef des hussites et l’esprit général de la Bohême. Nulle ressemblance entre les Tchèques et les Magyars : la Hongrie est fière, aristocratique, impatiente du joug étranger, et alors même qu’elle fait ses conditions à celui qui porte chez elle la couronne de saint Etienne, elle est toujours défiante envers le souverain, quand le souverain n’est pas sorti de ses rangs. la Bohême a ses traditions très hardies, son esprit national très fidèle au passé, ses croyances religieuses naïvement et obstinément téméraires ; mais elle tient à ses rois, à ceux que lui ont donnés les complications de l’histoire comme à ceux qui représentent les plus antiques souvenirs de la patrie ; elle y tient au point d’en être jalouse, et si son roi, comme Ladislas le Posthume, règne à la fois sur trois peuples différens, le souci qui la tourmente est que ce foi ne lui appartienne pas tout entier, qu’il subisse d’autres influences que les siennes, qu’il réside trop souvent dans une capitale étrangère. La Hongrie, soys Jean Hunyade et ses fils, tenait fort peu à la présence de Ladislas ; la Bohême, sous George de Podiebrad ; se plaignait de ne pas voir le roi dans son château de Prague, car elle ne demandait à la royauté que le bienfait général de l’ordre, l’unité du pays, le couronnement de l’état, et elle se sentait assez forte pour imposer à cette royauté, quelle qu’elle fût, le