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lieu une tragédie qui ne montre pas seulement l’attitude si différente de la Hongrie et de la Bohême en face du roi Ladislas, mais qui peut expliquer aussi le rôle qu’elles ont joué l’une et l’autre dans les révolutions de nos jours. Tandis que George de Podiebrad gouvernait la Bohême sans séparer les intérêts du roi de ceux de la nation hussite, Hunyade avait toujours gardé soit envers le jeune héritier du trône, soit envers son tuteur Frédéric III, cette défiance altière qui est propre à l’aristocratie magyare. Ladislas ne régnait que de nom dans son royaume de Hongrie ; le pouvoir était aux mains du glorieux vainqueur des Turcs. Livrer à Ladislas les châteaux et les villes qu’il réclamait sans cesse, c’eût été les livrer aux conseillers du jeune roi, et le conseiller de Ladislas pour les affaires de Hongrie était le comte de Cilly, prince de la maison d’Autriche, l’un des plus violens ennemis de Hunyade. Ladislas avait bien essayé de réconcilier Hunyade et Cilly, il avait même obtenu que Cilly promît sa fille en mariage au fils aîné d’Hunyade ; mais en dépit des efforts du roi, et malgré ces solennelles fiançailles, les haines persistaient toujours entre les deux maisons : le vainqueur de Belgrade, jusqu’à la dernière heure, avait refusé de livrer les places qui assuraient sa puissance, attendant que le roi fût majeur et capable d’agir avec une liberté entière. Hunyade mort, son fils aîné voulut prendre le commandement et suivre la même politique. Il s’engagea pourtant, sur les instances plus pressantes du roi Ladislas, à lui rendre tous ses châteaux, y compris la forteresse de Belgrade, dans un délai fixé. Le comte de Cilly espérait-il hâter la reddition de Belgrade ? le roi voulait-il, sans arrière-pensée, exécuter enfin un projet formé depuis si longtemps et paraître avec son armée sur la frontière ottomane ? On ne saurait le dire ; ce qui est certain, c’est qu’il descendit le Danube avec une flotte de cent trois navires, qu’il arriva le 8 novembre à Belgrade, et y fut salué sur le rivage par les acclamations des Hongrois. Son armée, forte de quarante-quatre mille hommes, tant soldats que croisés, resta sur les navires ; pour lui, confiant dans la soumission de Hunyade, il se dirigea vers la forteresse avec un petit nombre de seigneurs tchèques et allemands.

Il entre, mais aussitôt la porte est refermée derrière lui ; en même temps on ordonne aux seigneurs de déposer leurs armes, et quiconque s’y refuse est renvoyé. C’est une ancienne coutume, une coutume inflexible, disait-on au jeune roi ; nul homme étranger à la garnison ne peut entrer armé dans la forteresse. Le lendemain matin, le comte de Cilly, qui venait d’entendre la messe, est invité à une conférence dans le château-fort avec le comte Hunyade. Il hésite quelque temps, puis finit par s’y rendre, une cotte de mailles cachée sous son pourpoint. On n’admet avec lui que deux seigneurs