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aux franchises et libertés du royaume ; puis tout le cortège, en grande pompe, se dirigea vers Prague. C’est là que le couronnement eut lieu, selon l’usage national, sur les hauteurs du Hradschin, dans cette merveilleuse cathédrale de Saint-Vite où dorment les Prémysl et les Ottocar.


V

Ladislas venait d’atteindre sa quatorzième année. On devinait déjà chez l’enfant le brillant jeune homme qui allait devenir un type d’élégance et de noblesse. Il était grand, svelte, et toute sa personne respirait une grâce aristocratique. Des cheveux blonds et bouclés encadraient son visage, où s’épanouissait la fleur de l’adolescence. Ses yeux étincelans attestaient la vivacité de son esprit. Privé bien jeune encore de l’amour de sa mère, l’impératrice Elisabeth, soumis à la tutelle de son oncle, l’empereur Frédéric III ; il n’avait pas tardé à soupçonner vaguement les dangers qui l’entouraient. De là un tact, une réserve, une pénétration vraiment extraordinaires à cet âge, de là aussi une application constante à dissimuler ses sentimens, et trop souvent, il faut le dire, une fausseté insigne. Cette défiance précoce, qui semblait avoir tari chez lui la source des affections vives, ne disparut que dans les rapports du jeune souverain avec George de Podiebrad. Certes nulle ressemblance entre eux : petit, trapu, robuste, le lieutenant du royaume, qui n’avait que dix-neuf ans de plus que le roi, mais dont la physionomie guerrière était assombrie par tant d’épreuves, offrait un étrange contraste avec la juvénile beauté de Ladislas. Qu’importe ? une si loyale franchise illuminait son visage, que l’âme fermée de l’enfant s’ouvrit d’elle-même à ce rayon. Pendant les trois jours que George avait passés à Vienne, Ladislas n’avait cessé de l’appeler son père ; ce fut bien mieux encore à Prague : Podiebrad ne quittait pas le jeune roi, et achevait son éducation tout en gouvernant le royaume. Il était son père, son maître, son ami. Pour l’honneur du souverain comme pour le bien de l’état, il voulait que Ladislas se rendît populaire. La première condition, c’était de parler la langue nationale, et le pupille de Frédéric III ne connaissait que l’allemand. Podiebrad l’entoura de Bohèmes : ses serviteurs, ses maîtres, les officiers et seigneurs de sa cour étaient choisis parmi les Tchèques. Intelligent, avide de savoir, l’esprit ouvert aux lettres et aux arts, Ladislas se prêtait de bonne grâce aux désirs du lieutenant, et c’est ainsi que son éducation, commencée à Vienne sous AEneas Sylvius Piccolomini, se terminait à Prague sous le chef des hussites.

Une seule chose séparait encore le père et le fils : c’était la question religieuse. Ladislas était pieux et très attaché aux formes du