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échappera au négociateur ; le capitaine des hussites combinait encore ses plans lorsqu’on apprit la mort pu la disparition mystérieuse du cardinal Julien. L’ardent prélat avait décidé le roi de Hongrie Ladislas à marcher contre les Ottomans, qui ravageaient déjà les contrées du Danube avant de s’emparer de Constantinople. L’armée hongroise fut détruite à Varna le 10 novembre 1444 ; le roi périt, le cardinal disparut : avait-il succombé dans la bataille, ou bien, fait prisonnier par les vainqueurs, comme l’affirment certains récits du temps, fut-il conduit à Andrinople et condamné à quelque horrible supplice ? On ne sait ; ce qui est certain, c’est qu’on ne le revit plus et qu’une des espérances de George de Podiebrad fut engloutie à jamais dans ce désastre. Signalons en passant ce que de telles catastrophes, à peine connues de l’Occident, avaient de terrifiant et de sinistre pour les peuples de l’Europe orientale ; c’était sous le coup de l’invasion asiatique, c’était en face de Mourad et de ses barbares, que les chrétiens de Bohême, divisés par les factions, maudits du pape, abandonnés du concile, avaient à ressaisir leur vie politique et à fonder un culte national.

Décidément, puisque le cardinal Julien n’est plus là, il faut recourir à l’un des deux papes. George Podiebrad se tourne du côté d’Eugène IV, donnant par là un rare témoignage de sa modération autant que de son coup d’œil politique ; n’est-il pas remarquable en effet qu’au moment où tous les princes de l’empire, l’empereur à leur tête, persistaient à demeurer neutres entre Eugène IV et Félix V, un simple chef de parti, un capitaine de confédérés au milieu d’une nation en désarroi, ait fait le premier son choix et pressenti l’avenir ? Malgré ses sympathies pour le concile de Bâle, il a deviné que la victoire resterait à la cour de Rome, et, comme il est pressé d’en finir, c’est au pape romain qu’il s’adresse avec une loyauté hardie. Ainsi, étrange contraste, l’homme qui, le premier sur le territoire de l’empire, s’est prononcé pour Eugène IV contre Félix V, c’est celui-là même qui sera obligé de soutenir les plus terribles luttes contre les successeurs d’Eugène IV, celui que Paul II accablera d’invectives et contre lequel il essaiera de soulever l’Europe entière.

Il est à peine nécessaire de dire que les efforts de George furent inutiles. Il eut beau envoyer une députation à Rome, il eut beau faire parler au pape avec toute la candeur d’une âme chrétienne, sa cause était perdue d’avance. Des raisons politiques bien plus que des argumens de théologie entraînaient le saint-siège dans des voies absolument opposées ; George demandait l’exécution des promesses du concile, et le saint-siège était résolu à les supprimer à jamais. D’un autre côté, le pape Félix V favorisait les calixtins modérés et semait ainsi la division parmi les hussites. Sans renoncer encore aux négociations, car sa prudence égalait son audace, Podiebrad commençait à