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la réserve du peuple bohémien, le conflit des deux papes devait être nécessairement pour lui une nouvelle cause de troubles ; selon que l’un ou l’autre pape était favorable ou hostile aux hussites, le baron de Rosenberg, très dégagé de tout scrupule, savait modifier ses alliances pour nuire à ses ennemis ; les hussites au contraire, résolus à demeurer neutres et religieusement fidèles à leur parole, ne savaient plus, en cas de litige, auprès de quel juge suprême revendiquer leurs droits.

Un de ces grands litiges, une des questions capitales qui passionnaient tous les esprits pendant l’interrègne et qui les agiteront encore dans la période suivante, c’était la question de l’archevêque Rokycana. Après les conflits auxquels donnait lieu la communion sous les deux espèces, il n’y avait pas d’affaire plus grave et plus émouvante. Rokycana était un prêtre hussite, savant homme pour le temps, réformateur zélé des mœurs du clergé et du peuple, grand orateur, controversiste infatigable, également à l’aise devant un auditoire populaire et devant les théologiens du concile de Bâle, chrétien du fond de l’âme, mais attaché avec une obstination invincible à certaines formes du christianisme primitif, ayant vaguement l’idée d’un large système ecclésiastique où la variété ne nuirait point à l’unité, où chaque église aurait son caractère national, sans cesser d’appartenir à la grande patrie religieuse, où aucune de ces églises ne pourrait en opprimer une autre ; en un mot, c’était un hussite, le plus éclairé comme le plus ardent des hussites, un théologien patriote commentant et développant en tous sens ces paroles du pape saint Grégoire le Grand au généreux moine Augustin, l’apôtre de l’Angleterre : Ubi unus colitur Christus, nihil efficit rituum varietas. Est-il nécessaire de dire que ce vaillant homme marchait avec le parti du mouvement et de l’action ? Maître Jean Rokycana était dans l’ordre religieux ce qu’était dans l’ordre politique le sire Ptacek de Pirkstein. Ils appartenaient à la même fédération et combattaient en frères d’armes. Or, dans une diète tenue à Prague au mois de décembre 1435, maître Rokycana avait été élu archevêque de Prague, non par l’acclamation populaire comme aux temps primitifs, mais par les représentans de l’état et de l’église ; deux barons, le sire Meinhardt et le sire Ptacek, deux chevaliers, trois bourgeois, neuf prêtres choisis dans toutes les parties du royaume, lui avaient conféré ces hautes fonctions, et, malgré sa résistance très sincère, l’avaient obligé au nom du bien public d’en accepter le fardeau. Le chapitre de la cathédrale de Prague était composé de catholiques inflexibles, alliés et agens du parti germanique : de là toute une suite de conflits, où les passions politiques envenimaient encore les haines religieuses. Rokycana, qui n’entendait pas se séparer de l’église, demandait au pape ou au concile l’institution canonique