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lords, y trouva le prince Charles, qui, l’emmenant aussitôt à l’écart, le remercia chaudement du salutaire avis qu’il avait donné à Buckingham : « Et je vous remercierai encore bien plus, lui dit-il, pour moi comme pour le duc, si vous dévoilez pleinement cette noire intrigue qui a fait perdre à Buckingham la bonne opinion de mon père, et m’a mis moi-même en presque aussi mauvaise situation. Mais, dites-moi, comment êtes-vous parvenu à savoir que ce sont les agens espagnols qui ont accusé Buckingham, auprès de mon père, de tous ces méfaits, et presque de trahison ? » Le garde des Sceaux raconta alors avec détail au prince comment, par la maîtresse de Carondelet, il était parvenu à ces découvertes : « Ah ! ah ! lui dit le prince en riant, vous faites donc le commerce de cette marchandise ? — Monseigneur, reprit l’évêque-magistrat, je n’ai jamais vu la figure de cette femme ; mais, dans mes études de théologie, j’ai trouvé cette maxime, qu’il est permis de faire un bon usage du péché d’autrui. »

De retour à Windsor, Charles se concerta avec Buckingham, et ils présentèrent ensemble au roi le récit du garde des sceaux avec les commentaires qu’il y avait joints. Jacques le lut devant eux, s’arrêtant de temps en temps, tantôt pour leur faire quelques questions, tantôt pour dire avec un accent de satisfaction : « C’est bien, c’est très bien, c’est cela. » Sa lecture terminée, il embrassa vivement son fils et son favori : « Je n’ai plus que le regret de m’être laissé aller à une méfiance fomentée par de perfides ennemis. Nous voilà réconciliés, et pour prix de notre réconciliation je ne vous demandé qu’une chose : dites-moi quel est l’ingénieur qui, de son briquet, a fait jaillir l’étincelle et allumé le flambeau qui m’éclaire ? — Je l’ignore absolument, sire, dit Buckingham. » Charles resta muet. « Allons, dit le roi, j’ai bon nez, et je répondrai moi-même à ma question : c’est mon garde des sceaux qui a mis le levain dans la pâte. Que Dieu l’en récompense ! Il vous a rendu, et à moi aussi, un grand service. »

Jacques ne s’en tint pas à cette réconciliation familière ; il voulut qu’elle devînt publique et fût officiellement expliquée ; il déclara qu’il dresserait, sur les faits et les desseins imputés à Buckingham, une série de questions au sujet desquelles il provoquerait, sous serment, les réponses des membres de son conseil. Il fit préparer en effet cet interrogatoire, et le communiqua au prince Charles, qui écrivit confidentiellement à Buckingham : « Steenie, je vous envoie ci-jointes les questions que le roi juge à propos de faire concernant les malicieuses accusations de l’ambassadeur d’Espagne. Quant à la façon de les présenter, mon père a résolu (à moins que vous n’y fassiez des objections fondées en raison) de faire lui-même d’abord prêter serment aux membres du conseil ; le secrétaire Calvert et le