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avait occasion de savoir et de faire. La femme, intelligente et besoigneuse, se mit en rapport, par un autre homme de ses amis, avec le garde des sceaux Williams, qui faisait dans Londres, sans grand scrupule, une police très active, et, moyennant une ou deux belles pièces d’argenterie qu’elle reçut de lui, elle l’instruisit de ce que lui avait dit à elle Carondelet sur le travail des ambassadeurs espagnols contre Buckingham et sur l’espoir qu’ils avaient de le perdre dans l’esprit du roi et de faire en même temps dissoudre le parlement, qui leur était si ennemi. Le garde des sceaux ne se contenta pas de ces premières informations : il fit arrêter sans bruit le confesseur de Carondelet et se le fit amener, en le menaçant de toute la rigueur des lois contre les prêtres catholiques qui disaient en secret la messe et faisaient des entreprises de conversion. Saisi d’effroi pour son ami, Carondelet fit demander au garde des sceaux un rendez-vous, et vint en grand mystère, de nuit, par une porte dérobée, le solliciter instamment pour le prêtre arrêté, « qui lui était, dit-il, aussi cher que sa propre vie. — Comment voulez-vous, lui dit Williams, que je mette en liberté un homme mort selon nos statuts, un prêtre sorti de son séminaire pour venir surprendre et pervertir les fidèles qui vivent dans le sein de notre église, et cela au moment où le parlement veille avec plus d’ardeur que jamais à l’exécution des lois ? — Mylord, reprit avec passion Carondelet, ne vous inquiétez pas de ce parlement ; je puis vous dire, si vous ne le savez déjà, qu’il est bien près de sa fin. » Rien n’est plus difficile que de retenir une indiscrétion commencée ; profitant de ce moment d’abandon, le garde des sceaux, à la faveur d’un long entretien obtint de Carondelet tout ce qu’il avait envie de savoir sur les menées et les espérances espagnoles. Vers deux heures de la nuit, il le congédia satisfait, en faisant mettre secrètement le prêtre en liberté, et, resté seul, il rédigea un récit détaillé de tout ce qu’il venait d’apprendre, l’accompagna de notes pour en démontrer soit le mensonge, soit le péril, et se rendant aussitôt chez Buckingham, qu’il trouva toujours plongé dans l’anxiété et l’abattement : « Mylord, lui dit-il, voici ce que j’ai découvert. Allez sans délai à Windsor, instruisez de tout ceci le roi en gardant sur la source de vos informations le plus profond secret ; soyez avec lui très doux, très caressant, et surtout faites en sorte de ne le quitter ni jour ni nuit, de peur que dans quelque intervalle on ne décide sa majesté à dissoudre le parlement, ce qui amènerait, on l’espère bien, votre envoi immédiat à la Tour, et Dieu sait ce qui viendrait après ! » A ce service inattendu, Buckingham se répandit en remercîmens, et, prompt à suivre le conseil du garde des sceaux, il partit sur-le-champ pour Windsor, où il n’était nullement attendu.

Le lendemain, le garde des sceaux, en arrivant à la chambre des