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de chambre en chambre, comme une poule qui a perdu sa couvée et qu’aucun de ses poussins ne suit plus. » Jacques de son côté se lamentait de la discorde de ses serviteurs et disait tristement : « Si j’avais envoyé mon garde des sceaux Williams en Espagne avec mon fils, il m’aurait conservé le repos d’esprit et l’honneur, deux chances qui me manquent à la fois. » Mais sa tristesse ne lui donnait pas plus de courage contre son favori, soutenu par son fils, et ses habitudes domestiques avaient sur lui bien plus d’empire que ses convictions de roi. N’osant pas se décider contre Buckingham, et selon l’avis de son conseil, il convoqua le parlement pour décider à sa place, sachant bien d’avance que le parlement serait de l’avis de Buckingham et non pas du sien.

Loin de s’attiédir, le sentiment public qui avait accueilli Charles et Buckingham à leur retour de Madrid s’était de jour en jour échauffé et répandu dans le pays ; de jour en jour, l’antipathie anglaise pour le mariage espagnol était devenue plus générale et plus hardie. Imprimés ou écrits à la main, tolérés ou interdits, des pamphlets destinés à la justifier et à la fomenter étaient partout colportés et lus avec avidité. Tantôt c’était Tom le Véridique[1] qui s’adressait au roi Jacques et lui exposait avec une rudesse campagnarde les idées et les jugemens populaires ; tantôt on s’appliquait à exciter contre les Espagnols les colères anglaises en racontant les froideurs et les mauvais procédés que rencontraient en Espagne les Anglais, même lord Bristol dans quelques-unes de ses missions. On publiait, sous le nom de Voix du Peuple ou Nouvelles d’Espagne, de prétendues conversations et délibérations dans le conseil de Madrid, où Gondomar expliquait complaisamment toutes les menées, tous les artifices par lesquels il abusait et dominait, au profit de la politique papale ou espagnole, le roi d’Angleterre et ses conseillers. Dans un autre pamphlet intitulé Voix du Ciel ou Nouvelles venues du Ciel, le roi Henri VIII, les reines Marie et Elisabeth, le feu prince de Galles Henri et d’autres morts célèbres s’entretenaient des affaires du monde, « entretiens dans lesquels étaient démasquées et fidèlement mises au jour l’ambition et les perfidies de l’Espagne envers la plupart des royaumes et des états libres de l’Europe, surtout envers l’Angleterre et surtout à l’occasion du mariage projeté entre le prince Charles et l’infante doña Maria. » La liberté de la presse n’était alors ni reconnue en principe ni légalement garantie ; mais les libertés générales de l’Angleterre étaient assez fortes pour que les idées et les sentimens publics ne pussent être étouffés, et pour que leur influence pénétrât dans le gouvernement.

  1. Tom tell truth.