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Au même moment, et de cette même ville de Ségovie où il écrivait au roi d’Espagne cette lettre, Charles faisait partir pour Madrid M. Clarke, attaché au duc de Buckingham, avec ordre de se rendre chez l’ambassadeur d’Angleterre, le comte de Bristol, et d’y attendre, sans rien dire, l’arrivée de la nouvelle dispense papale. Dès qu’elle arriverait, Clarke devait remettre à lord Bristol des instructions secrètes qui lui enjoignaient de ne point se dessaisir, jusqu’à nouvel ordre, de la procuration que le prince avait déposée entre ses mains, et par laquelle il autorisait le roi Philippe IV ou l’infant don Carlos à procéder, en son nom, à la célébration du mariage. Le bruit s’était répandu parmi les Anglais que, cette célébration une fois accomplie, l’infante Marie, plutôt que de se donner à un hérétique, se retirerait dans un couvent, laissant ainsi le prince de Galles marié et sans femme. Soit crédulité, soit empressement à saisir un prétexte pour éluder des engagemens qui lui devenaient importuns, Charles se hâta de se mettre en garde contre ce ridicule péril. Telles étaient les méfiances et les menées qui s’unissaient aux solennelles protestations et promesses d’amitié.

Pendant son voyage de l’Escurial à Santander, qui dura neuf jours, Charles fut partout reçu sur sa route avec des démonstrations à la fois magnifiques et populaires : les officiers royaux, civils et militaires, avaient ordre de lui témoigner les plus grands respects, et le peuple espagnol comptait toujours sur sa conversion et son mariage. Charles aimait les arts et s’arrêtait volontiers, à la grande satisfaction des magistrats municipaux et de la foule, pour visiter et admirer les églises, les monumens, les tableaux. À Valladolid, il eût voulu voir le vieux duc-cardinal de Lerme, qui y vivait dans la retraite, et qui, sous le règne précédent, s’était montré fidèle partisan de l’alliance anglaise ; mais Olivarez, jaloux et soupçonneux, avait fait ordonner, au grand déplaisir du ministre déchu, qu’il s’éloignât momentanément de la ville. « De tout ce que m’a fait subir mon successeur, dit le duc de Lerme, rien ne m’a été plus amer. » A six lieues de Santander, Charles rencontra deux de ses compatriotes, sir Thomas Somerset et sir John Finett, venus au-devant de lui pour lui annoncer que la flotte anglaise, forte de dix bâtimens et commandée par le comte de Rutland, beau-père de Buckingham, l’attendait impatiemment en rade. « Quand j’appris au prince cette nouvelle, dit Finett, il me regarda comme s’il eût vu la figure d’un ange, et le duc de Buckingham, que j’en informai aussi un moment après, m’embrassa avec transport, et, tirant de son doigt un diamant qui valait bien cent livres, m’en fit don à l’instant. » Arrivé le 21 septembre à Santander, Charles voulut aller aussitôt Visiter la flotte anglaise, et il emmena avec lui, pour se satisfaire en la leur montrant,