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et je m’en vais tout changé. — En quoi donc ? lui dit Charles. — Dans ma religion. — Et qu’avez-vous donc vu qui ait pu vous faire changer ? — Hélas ! mon prince, en Angleterre j’avais tourné et retourné en tous sens la Bible pour y chercher le purgatoire, et, ne l’y ayant pas trouvé, je n’y croyais pas ; mais depuis que je suis venu en Espagne, j’y ai trouvé le purgatoire, et votre altesse y est. Nous, les serviteurs de votre altesse, qui reprenons le chemin du paradis, nous offrirons à Dieu nos ardentes prières pour que vous en soyez délivré. »

Ce n’était pas seulement en matière de religion que se manifestaient les déplaisances et les antipathies ; l’occasion s’en rencontrait dans les plus insignifiantes circonstances de la vie. « On prend ici, écrivait l’un des assistans, beaucoup de soins pour contenter le prince et ses gens, et quelques-uns des serviteurs du roi d’Espagne les servent à table dans le palais ; je suis fâché d’entendre là souvent des moqueries sur la mauvaise chère espagnole, et toute sorte de paroles dédaigneuses. » Je trouve dans une dépêche inédite[1] de l’ambassadeur de Venise à Londres, Louis Valaresso, ce détail domestique : « Ici les ambassadeurs d’Espagne dînent avec le roi d’Angleterre, tandis qu’à Madrid le fils même du roi d’Angleterre ne dîne pas avec le roi d’Espagne… Le comte d’Olivarez a fait au prince un présent de figues et de raisins secs, de câpres et autres fruits semblables ; envoyés au palais sur deux chariots, ils y sont arrivés le soir ; le prince n’a pas voulu qu’on les déchargeât aussitôt, et le lendemain, en plein jour, il les a fait distribuer sans retenir pour lui la moindre chose. L’impertinence du présent et le dédain du prince sont connus, et on en fait des chansons dans toute la ville[2]. »

Archie le fou ne supportait pas, de la part des Espagnols, la moindre parole désagréable, et se passait sur leur compte toutes ses fantaisies. On dit un jour devant lui qu’il était bien surprenant que le duc de Bavière, avec quinze mille hommes seulement, eût osé attaquer le gendre du roi Jacques, l’électeur palatin, qui en avait vingt-cinq mille, et qu’il l’eût mis en pleine déroute. « Je vous dirai, reprit Archie, quelque chose de bien plus surprenant : comment a-t-il pu se faire, en 1588, qu’une flotte de cent quarante vaisseaux soit partie d’Espagne pour envahir l’Angleterre, et qu’il n’en soit pas revenu, seulement dix pour dire ce qu’étaient devenus les autres ? » Un autre jour, on parlait du mariage de son prince avec l’infante. « Moi qui suis fou, dit Archie, je dirai ce que les sages n’osent pas écrire : le mariage n’aura jamais de fin, si on ne montre pas les dents aux Espagnols. »

  1. Du 1er décembre 1623. (Bibliothèque impériale, collection Dupuy, vol. 541.)
  2. Ibidem.