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cardinal, au vu et su de tout le monde, et je puis bien dire que cette visite particulière n’a été ignorée de personne, car là se trouvaient le nonce du pape, l’ambassadeur de l’empereur, l’ambassadeur de France, et les rues étaient remplies de gardes et de peuple ; devant le carrosse du roi marchaient les principaux de la noblesse, et après venaient les dames de la cour. Nous étions dans un carrosse invisible, car il n’était permis à personne de le remarquer, quoique tout le monde le vît. Ce cortège passa et repassa trois fois auprès de nous ; mais, avant que nous nous retirassions, le comte d’Olivarez vint dans notre carrosse et nous ramena chez nous, disant que le roi mourait d’envie de voir notre amoureux. Il me prit alors dans son propre carrosse pour me conduire au roi ; nous le trouvâmes se promenant dans les rues, l’épée au côté et le visage caché sous son manteau. Le roi monta dans le carrosse et se rendit à un lieu déterminé où il trouva l’amoureux, et tout se passa entre eux avec beaucoup de complimens et de courtoisie. Vous voyez par ceci combien ce roi est touché du voyage de votre fils, et certes, à en juger par les démonstrations extérieures et les discours généraux, nous avons droit de reprocher à nos ambassadeurs de ne vous en avoir pas dit assez plutôt que de vous en avoir trop dit. Pour conclure, nous trouvons le comte d’Olivarez si ravi de notre voyage, et il est d’une telle courtoisie, que nous prions votre majesté de lui écrire la plus aimable lettre de remercîmens. Il nous a dit, pas plus tard que ce matin, que si le pape ne voulait pas accorder une dispense pour que l’infante devînt la femme de ton fils, on la lui donnerait comme sa maîtresse, et il a écrit aujourd’hui même au cardinal Ludovisi, neveu du pape, que le roi d’Angleterre, en envoyant ici son fils, avait imposé au roi d’Espagne de telles obligations qu’il suppliait le pape d’accorder en hâte la dispense, ledit roi n’ayant rien dans son royaume qu’il vous put refuser. Nous devons vous dire encore que le nonce du pape travaille contre nous aussi malicieusement et aussi activement qu’il peut ; mais il reçoit des réponses si rudes que nous espérons qu’il en sera bientôt las. En résumé, nous croyons que le pape répugnera beaucoup à accorder la dispense, et s’il ne veut pas l’accorder, nous voudrions fort savoir de vous jusqu’à quel point nous pourrions vous engager quant à la reconnaissance du pouvoir spécial du pape, car nous penchons à croire que, si vous vouliez le reconnaître comme chef principal sous Christ, alors le mariage se ferait sans lui. En vous demandant votre bénédiction, nous restons

« De votre majesté l’humble et obéissant fils et serviteur,

« CHARLES.

« Et votre humble esclave et chien,

« STEENIE

« Madrid, le 10 (20) mars 1623.

« Au meilleur des pères et des maîtres. »