Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs. Mais quand on apprit qu’Honorius vivait et que l’ordre commençait à se rétablir, Stilicon changea d’avis : il ne pouvait se persuader qu’Honorius voulût sa mort; «et d’ailleurs, ajoute l’historien de ces événemens, commettre le soldat barbare contre le soldat romain lui semblait une chose dangereuse et impie. » Ce changement déplut aux auxiliaires, qui le lui reprochèrent vivement : il les laissa dire, et se retira dans son quartier, gardé par les Huns, sa fidèle escorte ; mais au milieu de la nuit Sarus, prenant avec lui une petite troupe de Goths, attaqua les Huns dans l’obscurité, les dispersa, pilla les bagages de Stilicon, et pénétra, sans lui faire de mal, jusqu’à la tente où celui-ci veillait encore, abîmé dans ses pensées, et voyant peut-être, comme Brutus, son génie qui l’abandonnait. Le cœur serré et supportant mal cette insulte, le régent partit pour Ravenne au point du jour; le long du chemin, il recommanda aux magistrats des villes où les otages des Barbares étaient déposés de fermer les portes et de se défendre, si les auxiliaires se présentaient devant leurs murs.

Il se trouvait à Ravenne depuis un jour ou deux, lorsque arriva, vers le soir, un messager de la cour impériale, escorté de soldats et porteur, disait-on, d’un rescrit du prince. Stilicon jugea prudent de se mettre d’abord à l’abri, et se réfugia dans la basilique, qui, de même que toutes les églises chrétiennes, jouissait alors du droit d’asile. L’évêque l’y vint trouver, et ils y restèrent jusqu’au jour. Aux premières lueurs de l’aube, des soldats entrèrent et assurèrent au régent que l’ordre apporté par l’officier, et dont ils étaient les exécuteurs, enjoignait seulement de le prendre et de le tenir sous bonne garde; ils répétèrent la même déclaration à l’évêque, et la confirmèrent par serment. Sur cette assurance, Stilicon sortit; mais à peine la porte fut-elle refermée sur lui, que l’envoyé tira de son manteau une seconde lettre qu’il avait cachée jusqu’alors, et dont il donna lecture à haute voix : elle ordonnait que le patrice Stilicon, brigand public et ennemi de l’empereur et de l’empire, serait mis à mort sur-le-champ. À cette indigne trahison, tout ce qu’il y avait là de Barbares auxiliaires, d’amis, de cliens, d’esclaves du ministre, et ils étaient en grand nombre, attirés par la curiosité ou l’affection, se formèrent spontanément en bataille pour fondre sur l’escorte et le délivrer; mais il les arrêta du regard et de la voix, il saisit même la garde de son épée avec un geste menaçant. On le vit ensuite se remettre entre les mains d’un officier romain, qui le fit agenouiller et lui coupa lui-même la tête. L’officier se nommait Héraclianus. Ce bel exploit fit sa fortune et lui valut, quelques années après, le commandement de l’Afrique. Le chef frappé, la famille fut dispersée. Sérène s’enfuit à Rome, où elle se cacha; Thermantia, chassée du palais impérial, alla pleurer près de sa mère;