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 Le peuple perdra votre nom :
Car il ne se souvient que de l’homme qui tue
 Avec le sabre ou le canon ;
Il n’aime que le bras qui dans les champs humides
 Par milliers fait pourrir ses os ;
Il aime qui lui fait bâtir des pyramides,
 Porter des pierres sur le dos ;

le poète ne semblait-il pas écrire la destinée de celui qui régnait alors ? « Louis-Philippe, dit M. Victor Hugo, était doux comme Louis IX et bon comme Henri IV. Or, pour nous, dans l’histoire, où la bonté est la perle rare, qui a été bon passe presque avant qui a été grand. » Pourquoi presque ? pourquoi une sourdine à ce cri humain ? Nous ne désobligerons point M. Victor Hugo en avouant que ce beau passage nous a fait penser à un sublime élan de Bossuet ; mais Bossuet n’a pas eu sa timidité. « Loin de nous les héros sans humanité ! Ils pourront bien forcer les respects et ravir l’admiration ; mais ils n’auront pas les cœurs. Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté. »

L’Angleterre n’est pas encore décidée à sortir de sa troisième panique ; son gouvernement ne veut pas démordre des fortifications. Il vient d’y avoir à ce sujet plusieurs vives escarmouches entre lord Palmerston et M. Cobden dans la chambre des communes. La question de parti, la destinée ministérielle, n’était pas engagée dans ces derniers débats. Ce n’était plus une portion du parti tory qui venait réclamer la réduction des dépenses militaires. Le petit éclat qui vient d’avoir lieu entre M. Cobden et lord Palmerston n’en mérite pas moins d’être remarqué, et peut être le commencement d’une combinaison nouvelle dans la situation des partis. Au début de cette session, lord Palmerston et M. Cobden paraissaient être en parfaite intelligence ; mais la session s’achève par un changement singulier de partenaires entre ces deux hommes d’état. M. Cobden se détache de lord Palmerston. Or M. Cobden et ses amis ont jusqu’à présent fourni environ 80 voix à la majorité ministérielle. Ce que lord Palmerston est exposé à perdre de ce côté-là, il le regagne parmi les tories ; M. Cobden, pour sa part, a l’air, lui aussi, de compter dans sa campagne d’économie sur le concours d’un certain nombre de tories, car il a clairement donné à entendre que, si le cabinet persistait dans sa politique dépensière, if saisirait une occasion pour mettre l’opposition en demeure de prendre le pouvoir. Vivement piqué des sarcasmes de lord Palmerston, M. Cobden a cru pouvoir avancer que deux ministres à qui, suivant lui, le cabinet serait redevable de son existence, M. Gladstone et M. Milner-Gibson, désapprouvaient les dépenses militaires. Cette déclaration a obligé M. Gladstone à revendiquer honorablement la part de responsabilité qui lui revient dans les mesures du gouvernement, et à opposer par conséquent à son ami en libre échange une contradiction au moins indirecte. Certes nous faisons des vœux pour que M. Cobden réussisse dans