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ces pages ; mais nous le louerons de la sagacité avec laquelle il a compris que Louis-Philippe est une des grandes figures qui appartiennent à notre révolution et qui l’ont le plus honorée ; nous le louerons de cette intuition de poète, fine et attendrie, qui lui a fait démêler les traits complexes de cette intelligente, honnête et bonne nature. Nous ne sommes pas de ceux qui, avec une maladresse, hélas ! funeste, ont dédaigné les jugemens des grands poètes sur les choses et les hommes de la politique. Les poètes peuvent commettre des erreurs sur les faits au-delà desquels vont leurs perçans regards, ils peuvent montrer une certaine gaucherie quand ils descendent au terre à terre de la vie politique ; mais, la dernière de nos révolutions l’a prouvé, ils ont un certain sentiment des choses, intime et profond, des éblouissemens d’imagination, des révélations soudaines qui vont plus loin dans la vérité que les hommes d’état vulgaires ne le pensent. Aujourd’hui encore ils ont cette double vue que les peuples leur attribuaient dans leur jeunesse. Même en croyant qu’ils se trompent, la politique, frappée de myopie par la proximité des faits, fera toujours bien de s’inquiéter de leurs pressentimens généreux et d’en tenir grand compte. À nos yeux, la vaste toile politique sur laquelle M. Victor Hugo a distribué avec sa puissance cyclopéenne les personnages et les péripéties de son récit romanesque mérite d’être étudiée par les hommes politiques comme un des signes du temps les plus vigoureux. Nous n’aurions pas le courage d’affaiblir par une copie à l’aquarelle ou de mesquines retouches le vivant et émouvant portrait de Louis-Philippe que M. Victor Hugo livre à la conscience des contemporains et à la justice de l’histoire avec le dessin et les couleurs impérissables de la poésie Nous ne relèverons pas les beaux traits : « Louis-Philippe a été un roi de plein jour, » et tant d’autres. Ce qui fait honneur à M. Victor Hugo, c’est, dans ce chef de nation, philosophe, serein, gai, clément, c’est d’avoir vu avant tout et d’avoir recommandé à la sympathie la bonté. Hélas ! lorsqu’en 1831 M. Auguste Barbier écrivait ces magnifiques ïambes l’Idole, lorsqu’il s’écriait avec une lyrique amertume :

Ainsi passez, passez, monarques débonnaires,
 Apôtres de l’humanité.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Du peuple vainement vous allégez la chaîne :

 Vainement, tranquille troupeau,
Le peuple sous vos pas, sans sueur et sans peine.
 S’achemine vers le tombeau.
Sitôt qu’à son déclin votre astre tutélaire
 Épanche son dernier rayon,
Votre nom qui s’éteint, sur le flot populaire,
 Trace à peine an léger sillon.
Passez, passez, pour vous point de haute statue.