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depuis cinquante ans le fanatisme pour le césar moderne ! » Rapprochement grandiose ! M. de Morny ne fournit pas là seulement un thème d’amplification à quelque moderne compatriote de Sidoine Apollinaire ; il propose un redoutable problème à ces nobles esprits de nos jours que la poésie ou la philosophie du patriotisme ramène sans cesse à nos origines pour y découvrir l’unité et la continuité des traditions dans la race française. Vous, monsieur Jean Reynaud, le théologien, le philosophe, le puissant géomètre de Ciel et Terre, qui voulez réchauffer aux inspirations druidiques nos croyances nationales ; vous, monsieur Henri Martin, qui avez animé votre volumineuse histoire d’une sorte de piété filiale envers nos ancêtres gaulois ; vous, monsieur Edgar Quinet, qui avez reçu de Merlin l’enchanteur les magiques effluves de l’esprit celtique, entendez l’appel que M. de Morny vous adresse, méditez son antithèse. Conciliez le druidisme anti-césarien de Gergovie avec ce culte auvergnat qui, au témoignage de M. de Morny, a si longtemps pratiqué ses rites dans les caves de Clermont-Ferrand.

Quittons la philosophie de l’histoire et la mythologie. M. de Morny, après son discours, a reçu de l’empereur le titre de duc. Certes nous n’avons rien à dire contre une si haute et si gracieuse faveur. L’empereur l’a accordée à l’élégant président du corps législatif comme un témoignage de son estime et de son amitié. La récompense eût été plus haute encore, qu’elle n’eût point paru imméritée à ceux qui, comme nous, connaissent et apprécient les qualités de M. de Morny.

La question de personne mise à part, doit-on considérer de nos jours la création d’un duché civil comme un événement sur lequel se puisse engager une discussion politique ? Nous croyons que non. De notre temps, la question de la noblesse et des titres, bien qu’elle ait été rajeunie par une loi récente, ne peut plus être en France une question politique. Il n’y a plus lieu de l’envisager qu’au point de vue des mœurs et de la société. Ce n’est pas à dire pour cela qu’elle ait perdu toute importance ; à nos yeux au contraire, elle fournirait au moraliste un intéressant et piquant sujet d’études. La noblesse et les titres, ne conférant plus de privilèges dans l’état, ayant perdu leur caractère politique parmi nous, n’étant plus que des distinctions sociales, n’ont plus d’autre place que celle que l’opinion veut bien leur accorder. Il faut reconnaître le fait tel qu’il est : l’opinion tient encore compte apparemment de la noblesse et des titres ; non-seulement ceux qui les possèdent par une transmission séculaire ne les répudient point, mais l’on voit tant de gens qui ne sont pas nés nobles et titrés les poursuivre par des usurpations ridicules ou les convoiter comme de désirables récompenses ! Comment en effet ceux qui ont ce goût-là hésiteraient-ils à rechercher les titres dans un temps où les plus hautes autorités nous apprennent que des populations ont pu croire que Napoléon n’était pas mort ? La noblesse et les titres n’ayant plus qu’une valeur d’opinion, les questions qui s’y rattachent ont pour premiers juges les meilleurs interprètes de l’opinion en telles ma-