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faire passer la province entière, presque sans coup férir, d’un gouvernement à l’autre. Comme l’Italie avait toujours à cœur la perte d’une contrée si magnifique, pour laquelle elle avait récemment tenté deux guerres contre Rufin et contre Eutrope, Stilicon fut d’avis qu’on commençât par là. On s’occuperait plus tard du sort des Gaules, se disait-il; il y avait même possibilité de s’entendre avec le tyran qui tenait cette province. On traita donc pour l’Illyrie, et quoique l’empereur, tout en approuvant la convention, ne l’eût pas encore signée, le brevet de maître des milices fut délivré au roi goth à qui des subsides de guerre furent assurés. Sur de tels engagemens, Alaric se mit en route pour l’Épire où Stilicon le devait rejoindre afin de prendre au nom de l’Occident possession solennelle du pays. Le régent allait partir lorsqu’il reçut une lettre d’Honorius qui lui défendait de quitter l’Italie. L’ordre était si absolu, rédigé en termes si impérieux, qu’il n’osa l’enfreindre. On lui remit en même temps un billet de Sérène qui le suppliait de ne point allumer les brandons de la guerre civile, de ne point armer le frère contre le frère : il baissa la tête et sentit que tout était perdu.

On pouvait deviner sans beaucoup de peine ce que ferait Alaric dès qu’il se croirait joué. Déjà passé en Épire, il retourna sur ses pas et vint camper à quelques milles en-deçà de la frontière italienne, menaçant et arrogant. Il demanda à l’empereur 4,000 livres pesant d’or, comme indemnité de ses frais d’armement et de marche. Stilicon, tout en reconnaissant la demande légitime, voulut la porter devant le sénat pour sa propre justification. La discussion y fut vive, et révéla dans cette assemblée, qui devait sa résurrection au régent, une sourde irritation et des jalousies inexplicables. Stilicon s’entendit gourmander, au nom de la majesté romaine, de ce qu’il n’avait point tout d’abord préféré la guerre, comme si la guerre eût été possible. Un sénateur s’écria, du ton d’un Gracchus ou d’un Caton : «Ce que tu conseilles, ô Stilicon, n’est pas une paix, mais un pacte de servitude! » puis il se réfugia dans une église, craignant ou feignant de craindre pour sa vie. Le ministre, avec un grand calme, expliqua son plan, ses engagemens vis-à-vis d’Alaric, et l’opposition de l’empereur, dont il produisit la dépêche, et finit par rejeter la faute sur Sérène, qui, dans une intention respectable, avait voulu conserver la paix entre les deux princes. «J’étais certain du succès, ajouta-t-il, et l’Illyrie orientale nous appartiendrait aujourd’hui. » Le sénat se déclara convaincu; mais son attitude n’était point faite pour rassurer Stilicon.

Un événement domestique sembla rétablir dans la famille impériale la concorde si profondément troublée. L’impératrice Marie, cette fille aînée de Stilicon, à qui la poésie avait prophétisé des jours si dorés et une longue lignée de césars, était morte assez obscuré-