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des troupes, était de visiter dans leurs chambrées les soldats malades, au moyen de quoi il étudiait la disposition des esprits, semait à propos ses confidences et disposait les fils de ses intrigues. Sa feinte piété l’avait fait bien venir des évêques et de l’empereur, qui se recommandait à ses prières; il correspondait avec Augustin, et malgré l’incapacité dont il ne donna que trop de preuves après qu’il eut ramassé la dépouille de Stilicon, il devint, dans le parti contraire au ministre, un personnage important et la cheville ouvrière d’un grand complot.

Loin de fléchir et de se laisser abattre, le génie de Stilicon prit un élan nouveau sous le poids des embarras et des attaques. Par une combinaison étrange en apparence, il alla chercher le salut de l’empire où était précisément son danger, et quand les nations barbares semblaient conjurées à la perte de Rome, il rêva de lui donner pour sauvegarde le plus terrible représentant de la barbarie. Alaric, inépuisable en ressources, s’était bientôt relevé de son échec à Pollentia; les Barbares oublient vite, et la pointe hardie de Radagaise jusqu’à Florence, à une si petite distance de Rome, animait plutôt la convoitise des aventuriers du Danube que deux défaites ne la décourageaient. Une fois rétabli dans sa situation première, et tout aussi redoutable qu’en 402, le Balthe avait repris ses anciennes négociations, avec un calme imperturbable : son thème était toujours le même, il se mettait lui et son peuple à la disposition de l’empire d’Occident pour porter la guerre, soit en Grèce contre Arcadius, soit dans la Gaule contre le tyran qui l’occupait et les Barbares qui la dévastaient. Un brevet de maître des milices et de l’argent pour ses armemens, c’était tout ce qu’il demandait. Plus les affaires de Rome s’assombrissaient, et plus le roi des Goths devenait pressant, plus il sentait que Stilicon était au moment de céder. Il lui envoya enfin à Ravenne, au commencement de l’année 408, une ambassade officielle avec les bases d’un traité d’alliance qui, cette fois, fut discuté sérieusement de part et d’autre, La hardiesse, la ténacité, l’habileté militaire déployées par le roi goth dans sa campagne de Pollentia lui avaient valu l’estime de son vainqueur : Stilicon se sentait même un secret penchant pour cet autre Barbare de génie. Avoir sous sa main un tel homme, un tel peuple, se servir d’eux comme d’instrumens pour restituer à l’Occident ses territoires perdus, et replacer Rome à la tête du monde, c’était à ses yeux, en de telles conjonctures, le chef-d’œuvre de la politique romaine.

Des deux hypothèses admises dans le projet d’alliance : envoyer les Goths au-delà des Alpes ou se servir d’eux pour faire rentrer les provinces grecques sous les lois de l’Occident, la seconde était évidemment la plus facile à résoudre, puisque, Alaric étant rentré dans son cantonnement, il suffisait de changer le titre d’occupation pour