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de l’Ile-de-France. Comme ces héros innocens enlevés au matin de la vie, ce livre ravissant garde une éternelle jeunesse.

Si une légère teinte philosophique apparaît dans Paul et Virginie, elle se fond dans l’ensemble et n’est pas l’esprit même du roman, comme dans la Chaumière indienne et le Café de Surate, écrits dans le dessein d’exposer une théorie d’idéal social, chimérique dans la plupart de ses moyens d’exécution. Quoi qu’il en soit des rêveries philanthropiques de Bernardin de Saint-Pierre, elles partaient d’un cœur bien intentionné, et pouvaient paraître des vérités douces à côté des violentes réformes réclamées par les esprits exaltés qui allaient amener la ruine de la société. La littérature romanesque, qui a émis toutes les idées, a souffert aussi de cette violence faite à son caractère. A part quelques imaginations tendres, se séparant de la foule pour aller à l’écart rêver à des temps meilleurs, la fin du XVIIIe siècle n’offre plus que des esprits inquiets, subissant une douloureuse transformation. Le roman devait cependant sortir de cette crise sociale, la plus grande qu’un peuple ait jamais traversée, représenté par deux puissans génies qui inauguraient noblement le nouveau siècle. M. de Chateaubriand et Mme de Staël lui rapportaient la souveraineté de l’idée, et replaçaient la France, déjà renouvelée par la gloire des armes, à la tête des nations intelligentes. Nous n’établissons pas de parallèle entre deux écrivains qui marchent simultanément dans des voies différentes; nous n’examinons d’ailleurs que le roman sous la plume de ces deux grands esprits.

Avec Mme de Staël, il acquiert les qualités sérieuses que ce génie viril donnait à toutes ses productions. Ce n’est pas que Delphine et Corinne n’aient aussi une portion romanesque et exaltée. Cette puissante et généreuse imagination comprend la passion aussi bien que le raisonnement; mais la discussion des grands intérêts qui agitent la société fait encore pénétrer la thèse dans le roman, et, bien que Mme de Staël y apporte l’ardeur enthousiaste d’un cœur féminin, on peut trouver que la pensée prédomine trop dans ces œuvres d’imagination.

Le contraire arrive pour les romans de sentiment dus à des femmes, et qui, après ces années d’agitation, venaient reposer l’esprit d’une manière douce et tranquille. Toute cette littérature romanesque des commencemens du XIXe siècle a des qualités distinguées sans en avoir de supérieures. Mme de Souza s’y fait remarquer par sa grâce. Mme de Montolieu a aussi un joli roman. Mme Cottin arrive au succès par quelques productions touchantes. Mme de Charrière et Mme de Krudener ne sont pas françaises, et cependant elles écrivent très purement dans notre langue des romans d’une grande délicatesse. Mme de Genlis tient une place à part, en dehors