Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un romanesque épisode de la courte existence de Mme Henriette d’Angleterre, cette aimable princesse qui fut le génie inspirateur de Mme de La Fayette, et eut aussi la gloire d’arracher à Bossuet ce cri éloquent qui retentit toujours dans nos cœurs.

Ces courts romans sont les derniers du siècle, qui a encore devant lui vingt années où la grande littérature produit des chefs-d’œuvre, mais où la littérature romanesque semble sommeiller après avoir épuisé tout l’intérêt de ses lecteurs. Nous n’osons comprendre parmi les romans Télémaque, cette œuvre d’une beauté antique et d’une douceur majestueuse, qui se place plus naturellement parmi les poèmes et clôt dignement le grand siècle, et nous devons franchir cette ligne indéterminée qui le sépare du XVIIIe siècle, de physionomie si différente.

Vers la fin du règne de Louis XIV, le foyer où s’étaient enflammées les nobles intelligences s’éteint graduellement sur les sommets et s’allume dans les régions intermédiaires. Il jette de vives lueurs sur des parties inexplorées où le roman va s’élancer en toute liberté. Représentant fidèle d’une société privilégiée, le genre romanesque, jusque-là, en avait eu la gravité noble et décente, plus extérieure peut-être que réelle pour le plus grand nombre, mais du moins gardant le respect de soi-même, des autres et de la majesté royale. Mais déjà sous la tristesse des dernières années de Louis XIV on peut entrevoir les désordres de la régence. La société, impatiente du joug austère que lui impose encore cette puissance à son déclin, cache à peine le désir d’en être délivrée, se réjouit avec scandale quand elle a retrouvé sa liberté, et, mettant au grand jour des vices jusque-là dans l’ombre, montre aussi ses facultés nouvelles, les audaces de son esprit, son aptitude singulière à tout comprendre comme à tout oser.

C4’est alors que le roman semble aussi avoir conscience de ses moyens d’action et du parti qu’il peut tirer de ce qui se passe dans la société. Le champ est ouvert pour lui, il ne lui faut que des hommes de génie ou de talent pour l’exploiter, et il s’en présente en assez grand nombre pour donner à la littérature romanesque la variété et la puissance qui en font le charme et le danger. Il y a dans le XVIIIe siècle un large mouvement d’idées qui coule comme un fleuve à pleins bords. Le roman les recueille, les adopte toutes, les revêt d’une forme qui les rend plus distinctes et plus universelles, et va les répandre dans le monde, où elles font tour à tour beaucoup de bien et beaucoup de mal.

Le premier roman du commencement du siècle, c’est Gil Blas, que nous plaçons par ordre de mérite avant le Diable boiteux, bien que celui-ci l’ait précédé. La première partie de Gil Blas paraissait