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rieuse. Les satiristes appartiennent bien à cette race d’esprits qui rompt les barrières, mais elles se referment si promptement derrière eux que l’on ne peut indiquer qu’un petit nombre de romanciers qui se soient avisés de prendre la société sous ces côtés assez vraie, mais moins agréables pour les esprits délicats qui dirigeaient le goût public. Parmi ces exceptions que nous devons citer, nous rencontrons Furetière, que son humeur atrabilaire et maussade a rendu plus célèbre peut-être que son Roman bourgeois, lequel a cependant du mérite. Il ne vole pas, comme Cyrano, dans les royaumes fantastiques de la Lune et du Soleil, pour en faire descendre la critique de notre monde ; mais il le peint dans les conditions assez étroites des intérêts matériels et mesquins, qui absorbent si souvent la dignité humaine. Cependant Mlle Javotte, son héroïne, est une jeune fille de la classe bourgeoise, intelligente et éveillée, dont on pourrait retrouver le type, de nos jours, presque sous les mêmes traits.

Les satires du temps de la fronde, grossières et injurieuses personnalités, ont pendant un moment abaissé le niveau des ouvrages de l’esprit ; mais leur influence dure peu, et ce vieux levain gaulois, qui fermente toujours, ne reparaît que rarement sous un règne où tout est empreint de grandeur et de bienséance. Le genre héroïque et sentimental au contraire, en harmonie avec l’ensemble social, plaît, même dans sa forme un peu monotone, et bien plus lorsqu’il a trouvé son expression la plus parfaite dans les adorables romans de Mme de la Fayette, Mademoiselle de Montpensier, Zayde, la Princesse de Clèves et la Comtesse de Tende. L’imitation des romans de Mlle de Scudéry, encore sensible dans Zayde, ne se laisse plus apercevoir dans la Princesse de Clèves que dégagée de tous les défauts reprochés à Cyrus et à Clélie. Inspirée par sa divine raison, par son goût et sa délicatesse, Mme de La Fayette a deviné enfin les proportions exquises que l’on pouvait donner à certains romans de l’âme qui perdraient à être développés. Tout en appartenant à cette école de sentimens élevés et tendres qui procède de l’Astrée et se continue jusqu’à la Princesse de Clèves dans une filiation non interrompue, elle rajeunit un genre, déjà un peu suranné, par l’invention plus naturelle, par l’heureux emploi, dans le roman, de cette langue élégante et pure du XVIIe siècle, et par la mesure, la mesure, cette qualité qui n’appartient pas à tous les gens d’esprit, mais que possèdent tous les gens qui ont du goût, et qui est à la composition ce que la propriété d’expression est au style. Mme de La Fayette a le mot juste, l’accent pénétrant, passionné sans emphase, une distinction parfaite jusque dans la douleur, semblable en cela à Racine, lorsque, dans la touchante élégie de Bérénice, il retrace