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point important pour elle serait de se créer des liens avec toutes les forces productives du pays, de développer, d’entretenir autour d’elle le plus grand nombre qu’il serait possible d’ateliers, qui viendraient en temps de crise ajouter toute leur puissance à la sienne. Aujourd’hui elle recherche la perfection dans ses travaux, elle semble être à la poursuite du beau idéal, et c’est très louable assurément; mais nous ne pouvons nous empêcher de croire qu’il est un autre point de vue dont une institution militaire ne doit pas être moins préoccupée : la nécessité de multiplier ses racines dans le sol national en pensant aux jours de tempête qui peuvent survenir.

Toutefois c’est le chiffre du personnel qui accuse réellement le point faible de notre marine. Ici la disproportion est énorme, car, d’après ce que disait l’année dernière au sénat M. l’amiral Romain-Desfossés, la France ne compterait en tout et pour tout que 62,000 marins capables du service de guerre, en regard des 80,000 hommes que l’Angleterre entretient en temps de paix sous le pavillon, en regard des 230,000 hommes qu’elle emploie à sa navigation du long cours et du grand cabotage seulement. Après cinquante ans de liberté des océans, en être arrivé là, c’est, il faut l’avouer, humiliant pour un pays qui possède dans les mers de l’Europe six ou sept cents lieues de côtes, qui figure au second rang dans le monde pour la richesse de ses finances et pour l’importance de son commerce extérieur, qui compte une population de presque quarante millions d’habitans! Quand on étudie les proportions dans lesquelles s’est multiplié le personnel de toutes les autres industries, c’est presque à n’y pas croire. Il faut qu’il y ait là un vice radical, et si la chose peut être expliquée pour nous, ce n’est pas, après tous les faits que nous venons d’exposer, que les Français n’aient point le goût de la mer, mais c’est assurément que nos institutions font aux gens de mer un sort impossible. Le vice, il est dans ces lois que M. l’amiral Romain-Desfossés qualifiait ajuste titre de draconiennes, mais que tout son talent ne saurait justifier à nos yeux. Aussi longtemps que, conformément à la loi, mais en violation directe de tous les principes sur lesquels reposent notre état social et notre constitution politique, il sera interdit aux Français d’exercer aucune des industries qui se rattachent à la marine sous peine de rester depuis l’âge de dix-huit ans jusqu’à celui de cinquante à la disposition du ministre ou d’un décret qui peut les envoyer au premier jour faire des campagnes de trois, de quatre, de cinq ans même, — les exemples n’en sont pas rares, — aux Marquises, à la Nouvelle-Calédonie ou en Cochinchine, il ne faut pas espérer de voir augmenter d’une manière un peu sensible le nombre de nos marins. Il y aura toujours sans doute des vocations et des nécessités irrésistibles qui pousse-