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quise comme au peuple le plus libre et le plus uni de la terre. D’autres ont la centralisation administrative, l’uniformité légale et politique; elle a, elle, l’union des cœurs et des sentimens, qui est une bien autre source de vigueur et de confiance dans l’avenir. Cette affirmation peut paraître contestable à ceux qui, jugeant les choses d’un point de vue superficiel, croient avoir tout dit quand ils ont reproché à l’Angleterre d’être une société aristocratique. Ils comprennent par cette qualification ce qui a pu être autrefois dans certains pays de l’Europe continentale, mais ce qui n’a jamais été et ce qui surtout n’est pas en Angleterre. Par aristocratie, ils entendent une superposition de classes ou de castes exclusives, revêtues de privilèges iniques et absurdes, qui se jalousent, qui s’exploitent, qui s’oppriment réciproquement à tous les degrés de l’échelle sociale. Rien n’est moins exact. Les Anglais savent et doivent vivre sans morgue vis-à-vis de leurs inférieurs, sans envie à l’égard de ceux qui sont au-dessus d’eux. Chacun peut désirer et désire en effet énergiquement monter, mais personne n’est admis à se plaindre de la position qu’il occupe. De pareilles plaintes seraient ridicules et exciteraient la pitié pour celui qui oserait les proférer hautement, parce que nul ne peut dire que les institutions sociales, les mœurs ou les lois l’empêchent d’atteindre là où ses vertus, son travail et son mérite devraient le porter. Sous ce rapport, la société anglaise est en réalité la moins exclusive qui soit au monde, celle qui fait la meilleure part, et de la meilleure grâce, à tous les services et à tous les talens. Son aristocratie est la seule qui ait toujours su accueillir avec une cordialité loyale, on pourrait presque dire avec déférence, tous ceux qui se distinguaient assez parmi leurs concitoyens pour conquérir une place dans ses rangs. Cela est si vrai et de l’aristocratie anglaise et du peuple anglais tout entier, que, comme on l’a fait remarquer, il n’existe pas de mot dans la langue pour rendre l’idée que nous exprimons par le terme de parvenu; c’est une idée qui n’est pas anglaise. Quiconque parvient est salué comme un vainqueur heureux et méritant, comme aussi les fils qui ne savent pas continuer à mériter sont certains de retomber dans la foule, d’où leur père était sorti. Les lois et les institutions y forcent, et le droit de primogéniture, qui excite tant d’antipathies chez nous, y contribue particulièrement en forçant les cadets au travail pour maintenir leur rang et leur situation dans le monde. Aussi a-t-il raison, cet écrivain anglais qui nous représente dans une riante campagne un duc et un laboureur, l’un promenant avec satisfaction ses regards sur ses vastes domaines, mais se disant que ses fils descendront au niveau de l’homme qu’il aperçoit là-bas, employé aux plus humbles fonctions, s’ils ne savent pas être dignes de leurs aînés; l’autre, le laboureur, essuie la sueur de son front en contem-