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très grande puissance industrielle, ni qu’elle est surtout très puissante dans les branches de l’industrie qui intéressent le plus spécialement la marine. Au lieu de discuter ce point ou de nous livrer sur ce sujet à des considérations théoriques, nous préférons citer un fait qui date presque d’hier, et qui vaudra mieux comme enseignement que tout ce que nous pourrions dire.

En 1855, après la prise de Malakof, les Anglais, étant eux-mêmes peu satisfaits du rôle qu’ils avaient joué en Crimée, se proposaient de prendre une revanche dans la Baltique, si la guerre avait continué. Ils voulaient détruire Cronstadt, qu’ils avaient eu le loisir d’étudier pendant les deux campagnes précédentes; le moyen fût-il bon ou mauvais, cela n’est pas en discussion ici, ils avaient imaginé de l’écraser et de l’incendier sous une pluie de projectiles lancés par de petits navires, canonnières et bombardes, qui étaient à construire pour ce service spécial. On s’adressa, pour la création de ces petits bâtimens, à l’industrie privée, et entre autres au célèbre constructeur M. Laird, aujourd’hui membre du parlement pour la ville de Birkenhead, où ses chantiers sont situés sur la Mersey, en face de Liverpool. Ce fut le 25 octobre que les plans de la première canonnière arrivèrent à M. Laird, et que par conséquent il put commencer ses travaux. Le 11 novembre suivant, la canonnière tout armée, moins sa machine, entrait à la voile dans la rade de Portsmouth. Nous ne savons pas quel était le tonnage de ce navire; mais, pour l’édification du lecteur, nous rappellerons qu’il fut construit à cette époque des canonnières de plusieurs classes, depuis 212 jusqu’à 868 tonneaux de capacité. C’était donc un navire de plus de 200 tonneaux. Après avoir fourni cette preuve d’activité, M. Laird signa avec le gouvernement un marché en vertu duquel il était autorisé à construire, sur des plans et sur des prix convenus, autant de canonnières qu’il lui serait possible jusqu’au jour où le contrat serait dénoncé, le gouvernement s’engageant à prendre pour son compte, et jusqu’à entier achèvement, tout ce qui serait alors en chantier. Partant de cette base, M. Laird organisa ses ateliers, où l’on travaillait de jour et de nuit, sur un pied de telle puissance de production que lorsqu’il reçut l’ordre de s’arrêter il livrait au gouvernement un navire par jour. Des marchés semblables ayant été passés avec d’autres maisons, la marine anglaise se trouva enrichie, lorsque la paix fut signée à Paris, c’est-à-dire en moins de cinq mois, de plus de 200 canonnières et d’une centaine de bombardes, armées, en armement ou en construction.

Le gouvernement fit pour les machines comme il faisait pour les coques des navires, et les résultats ne furent pas moins significatifs. Pour n’en citer qu’un exemple, nous dirons ce qu’il obtint de la seule maison Penn et fils, de Greenwich. Au mois de décembre 1855,